Dernier week-end du mois de juin. 41,5° à l’ombre.
Les Gilets Jaunes des quatre coins de la France se sont donné rendez-vous au complexe sportif du Pouloux, à Montceau-les-Mines, pour leur troisième Assemblée des Assemblées.



Un petit parfum de la Fête de l’Huma flotte dans l’air, au milieu des stands de livres, des espaces de discussion, des buvettes et cantines à prix libre. Des tables, des bancs, quelques tentes pour l’accueil des participants, l’ « Arbre à Souhaits » ramené de Commercy et les chapiteaux qui hébergent les groupes de travail pendant trois jours…
Ils étaient 650, comme à Saint-Nazaire il y a deux mois, n’en déplaise à ceux qui annoncent que le mouvement s’essouffle.

On n’y rentre pas comme ça à l’ADA des Gilets Jaunes, il faut s’être inscrit au préalable et avoir été coopté.
Le site est bordé de murs et il faut franchir la sécurité pour pénétrer l’enceinte. Le groupe du Magny de Montceau a soigné l’organisation, rien n’est laissé au hasard. « Et c’est une sacré équipe de femmes qui est à la tête de tout ça, elles sont incroyables » me confie un participant.

Les séances plénières rythment le rassemblement.
Elles se déroulent dans le gymnase et il faut être courageux pour braver la chaleur de plomb qui sévit. Les groupes repartent, leurs devoirs sous le bras, le coeur à l’ouvrage et le sérieux sur tous les fronts. Comme lors d’une université d’été.
Sous les barnums, on défend ses idées, on affute la formulation, on co-écrit des raisonnements qu’un porte-parole viendra présenter à l’ensemble. On fabrique la synthèse des synthèses des groupes de travail, puis on la soumet à l’approbation. On expérimente une forme de démocratie réelle qui s’écrit comme elle se pense, au fur et à mesure.
Lorsqu’il s’agit de débattre des actions concrètes à venir, les médias sont guidés vers la porte de sortie. Certains s’en agacent, d’autres s’en accommodent et tentent de connaître le déroulé des échanges à l’extérieur. Mais pas grand chose ne filtre.

Ils sont loin de tous partager le même avis, la même orientation politique, les mêmes envies méthodologiques.
Mais ils demeurent soudés, unis par la cause. Quelle cause ?
On leur reproche de vouloir plus de pouvoir d’achat en souhaitant la mort du capitalisme. Plus d’écologie tout en remplissant les réservoirs qui les mènent d’Acte en Acte chaque samedi, porter leurs revendications dans la rue. En réalité, la fin justifie les moyens, pour l’instant. Et leur cause commune, celle qui est sur toutes les lèvres ce week-end, c’est plus de justice sociale, moins de répression et de violences policières.

Il n’en demeure que j’ai bien des difficultés à entrer en contact avec les Gilets Jaunes ce jour-là.
Ils se méfient des médias depuis cet hiver, si bien que même un caméraman interne au mouvement doit justifier de sa présence au micro, en soutenant être de leurs.
Il va donc falloir rappeler les règles du jeu : « ceux qui ont une gommette rouge sur le torse ne souhaitent pas être filmés, merci de les respecter ».

Dehors, il y a Petit Jean, qui accepte de parler de sa marche blanche des Médics, quelques anciens des rond-points de Montceau, mais lorsqu’il s’agit de s’exprimer face caméra, ils fuient. Et je perçois que sous ses airs de fête cathartique, l’assemblée des assemblées n’est pas qu’une kermesse joyeuse. La fatigue est bien présente et sous l’espoir l’abattement est parfois proche.
J’entends les défenseurs du controversé Etienne Chouard appeler à son soutien… J’entends certains avouer qu’ils ont quitté les ronds-points et qu’ils se demandent s’ils vont continuer à rejoindre les manifs hebdomadaires… Même un solide membre du Magny me dit que si rien n’aboutit et que rien n’est proposé au sommet, il pense raccrocher le gilet au vestiaire.
Mais pourquoi sont-ils encore là ?

On parle du « municipalisme libertaire » de Murray Bookchin et d’anarchisme comme une issue possible. D’assemblées citoyennes locales et d’installations de lieux physiques pérennes. De lutter encore plus près de chez soi, d’un pouvoir plus stable, d’une force plus endurante et d’une efficacité plus mesurable. L’utopie n’est pas morte. Elle se cherche une voie collective pour exister, au-delà des divergences.

Sauf que dehors, dans les rues de Montceau, rien ne laisse paraître qu’ils sont si nombreux au Pouloux à tenter de construire un monde meilleur…
Les habitants continuent à faire leurs courses au supermarché, le centre ville accueille la flânerie, le canal s’écoule, sereinement.
Pas de colère, pas de banderole dans l’ancienne cité minière.
Le monde continue à exister, sans les Gilets Jaunes.

Et c’est bien ce qui inquiète ou interroge certains.
Gilbert, un professeur retraité, des Sables d’Olonne, me confie qu’il étouffe entre les 4 murs du complexe sportif.
Que si certains sentent encore le besoin de re-convoquer ensemble le souvenir de leurs expériences locales individuelles, il lui semble qu’on atteint un seuil de doute et de paralysie préoccupant. Se rassurer sur l’existence d’autres soi-même aux 4 coins de la France, est-ce suffisant ?
La maturation d’une pensée collective, l’apprentissage du militantisme sur les rond-points, c’était un passage obligé.
Mais que penser du fait que chez les Gilets Jaunes, il y a toujours « ceux qui veulent avoir et ceux qui veulent être… » .
Ceux qui veulent partager les mêmes privilèges que les « riches » d’un côté et ceux qui souhaitent passer la sixième et inventer une autre société.
Dans cette situation, il est difficile de se choisir un ou une porte-parole, un ou une représentante, même pour une mandature limitée.
S’agripper à une horizontalité totale ne dilue-t-il pas la visibilité ? Et le pouvoir de se réjouir alors de la non-incarnation de la contestation et de continuer à taper dans le tas.

Il aura fallu que la chaleur tombe et la nuit avec pour que je rencontre des individus qui acceptent la discussion.
Qui osent dire leur frustration et leur déception. Leur peur de la dissolution et de la rupture avec la population. Leur impuissance face au temps et à la fatigue qui s’installe quand il faudrait que tout se fasse. Juste avant que je quitte cette troisième Assemblée des Assemblées, Gilbert m’a soufflé que le rôle des Gilets Jaunes, c’était peut-être simplement de garder vives les braises. Reste à savoir qui jouera avec le feu.

Par Laëtitia Déchambenoit