Ça m’est tombé dessus comme ça. 
Planté debout sur mon balcon, je contemplais le monde extérieur… 
Enfin, aussi loin que portait mon regard. Et soudain, comme je le disais plus haut, sans prévenir, je me suis posé une question : est ce que le monde continue d’exister au-delà de mon regard ? Intérieurement, je me suis dis : «  non, non putain. Va pas sur ce terrain. »
Trop tard. Mais ça ne s’est pas arrêté là !
Est ce que j’existe si on ne me regarde pas ?

Et ben voilà ! Avec ça, j’avais gagné ma journée ! Bon, pourquoi ces questions?
Après trois jours sans sortir, sans presque voir personne (à part ma femme, et heureusement) ma perception du monde a changé. Je me sens comme le chat de Schrödinger ; ni vivant, ni mort parce que plus personne ne m’observe. Je suis dans ma boîte/appartement. Alors oui, le Chat de Schrödinger est une expérience de pensée visant à mettre en évidence le problème de la mesure dans la mécanique quantique. C’est à dire, en vulgarisant un peu, que c’est l’observateur de l’événement qui détermine l’état de l’objet quantique (le chat) au moment où il le regarde…
Quel rapport avec moi être humain conscient et supérieurement intelligent…
Conscient, juste conscient, ça ira.

[Comment ça marche?] Le chat de Schrödinger

Donc personne pour m’observer. Est ce que j’existe encore ? Ou à l’inverse ; est ce que le monde qui s’étend au-delà d’un kilomètre périphérique autour du noyau central qu’est mon appartement existe encore ? C’est à dire est-ce que le chat est aussi un observateur ?

Si cette constatation est tout à fait cohérente en physique quantique, qu’est ce qu’elle vient foutre dans la vie de confiné ? Bon, je sais, j’aurais pu en rester là, m’en secouer le cocotier et aller mater un film. Ce que j’ai fais en fait :

Phantom of the paradise – 1974
de Brian De Palma
Canal VOD

Réalisé en 1974 par un Brian De Palma qui abordait avec ce film une gaule cinématographique qui allait durer dix ans.
Carrie au bal du diable, Obsession, Furie, Blow Out, Scarface, Body Double.… N’en jetez plus, c’est un quasi sans faute.

Phantom of the paradise est un film gorgé jusqu’à la gueule d’un plaisir immense de faire du cinéma, doublé d’une grosse envie de poser son attirail sur la table. Carrément ouais, il lui suffit de 94 minutes pour nous balader entre comédie musicale pop-rock, adaptation d’une oeuvre majeure de la littérature (Le fantôme de l’opéra de Gaston Leroux), film d’horreur, thriller, adaptation du mythe de Faust, hommages et références au cinéma de ses aînés et aux grands mythes littéraires.
En découle une oeuvre unique, ultra-dynamique et filant à toute allure sans aucun, mais alors vraiment aucun, temps mort vers sa terrible conclusion. 

Phantom of the paradise est un film sur la spoliation d’un artiste par un producteur avide et sans scrupules.
C’est l’histoire de la vie comme dirait le Roi Lion. Sa mise en scène, depuis bien connue (longs plan séquences, courtes focales et split screen) fait merveille et revêt un état presque expérimental de tout ce qui sera son cinéma des prochaines années. 

« Peut-être bien que c’est la conscience qui créé la réalité extérieure par l’acte d’observer… ».

Extrait du Cycle des Xeeles par Stephen Baxter

Et puis voilà, tel un petit cheval blanc, et même si j’ai adoré Phantom of the Paradise, l’état de superposition trotte dans mon esprit. Et cette phrase, extraite du Cycle des Xeeles de Stephen Baxter (auteur de romans de Science Fiction ; le cycle des xeeles est l’une de ses séries en 5 tomes. https://booknode.com/serie/cycle-des-xeelees )… « Peut-être bien que c’est la conscience qui créé la réalité extérieure par l’acte d’observer… »
Elle découle d’une discussion entre deux personnages autour du paradoxe de Wigner

Le paradoxe de Wigner est une extension de l’expérience du Chat.
Tout comme Schrödinger, Wigner est un physicien théoricien (comme Sheldon Cooper, il me semble) qui rajoute un observateur supplémentaire entre le chat et le scientifique.
L’observateur ouvre la boîte, constate l’état du chat et le scientifique maintenant en dehors du laboratoire lui demande ce qu’il a constaté. Vous me suivez ? Ok, mais pas par là.
En fait ça montre que le résultat d’une mesure en mécanique quantique est une interprétation qui dépend d’un système d’interactions. Bon n’étant pas spécialement un grand esprit logique et cartésien je n’irais pas beaucoup plus loin dans les explications bien qu’elles soient assez intéressantes pour peu qu’on s’y attarde. Intéressantes et propices à l’imagination la plus fertile (notamment les univers multiples ; c’est à dire que toutes les possibilités d’univers existent jusqu’à ce que la conscience d’un observateur en valide une par son observation).
Mais alors qui est cet observateur démiurge qui déciderait ce qui existe et ce qui n’existe pas, ce qui est vivant, ce qui est mort.
A moins que la théorie de la décohérence nous amène une piste également intéressante.
C’est l’idée que l’état de superposition (mort/vivant) ne peut-être maintenu qu’en l’absence d’interaction avec l’environnement. Mais ce sont ces interactions qui déclenchent obligatoirement le choix entre les deux états…

Bref, j’en étais là sur mon petit balcon, seul, sans observateur extérieur pour certifier si j’étais vivant ou mort, actif ou inactif, parce que le confinement efface ce qui fait de nous des êtres vivants. Les interactions. Les interactions physiques, observations, communications, témoignages, partages… nous rendent acteurs et observateurs de la Vie.
Nous n’étions plus que de tristes observateurs de nous-mêmes ; fonctionnant comme une boucle fermée ; un chat sans conscience attendant d’être observer pour savoir si il est vivant. 

Je suis le chat dont l’existence entière tient à ce moment où quelqu’un ouvrira la boîte.
Mais  je suis seul, sans existence quand je cesse d’observer pour ne plus regarder que moi-même, mon confort, mes désirs et mes ambitions. Parce que je fais partie d’une chaîne. 

« La vie est une grande chaîne, je vois mon destin de maillon »

Robert Silverberg. 

Et c’est une bonne nouvelle. Je suis un maillon nécéssaire dans une chaîne d’interactions qui rend l’univers, le monde et le vivant visible comme un tout. Vouloir s’en extirper parce qu’on se sent plus individu que les autres c’est pisser face au vent. Ça nous revient forcément dans la gueule. 

Je vais d’abord puiser dans les films la force vitale d’ouvrir mon champ de vision. Et puis quand le moment sera venu, je sortirais de la boîte et j’irais interagir, observer et construire la vie qui vient. 

Heat – 1995
de Michel Mann
En ce moment sur TCM Cinéma

La rencontre entre Al Pacino et Robert De Niro, un des meilleurs polar jamais réalisé. Michael Mann forcément. 

Synopsis
La bande de Neil McCauley à laquelle est venu se greffer Waingro, une nouvelle recrue, attaque un fourgon blindé pour s’emparer d’une somme importante en obligations. Cependant, ce dernier tue froidement l’un des convoyeurs et Chris Shiherlis se retrouve obligé de « terminer le travail ». Neil tente d’éliminer Waingro, mais celui-ci parvient à s’échapper. Parallèlement, le lieutenant Vincent Hanna mène l’enquête…

Le premier film réalisé par Michael Mann en 1981 s’appelle Le Solitaire (du moins en français). Heat est de cet acabit ; une pierre précieuse ciselée avec amour par son réalisateur.  La construction inéluctable du destin de ces 2 hommes, l’effritement de leur vie privé, la puissance de frappe de la scène du hold-up. L’image finale. Heat est le joyau du polar ; ce n’est pas la breloque achetée au supermarché pour combler une soirée pizza. Heat vous hypnotise par sa force et la brillance des facettes tourmentées de ses différents personnages. Heat ne lasse pas, il fait partie de ses films qui dévoilent une nouvelle couche à chaque nouvelle vision.

Piège de Cristal – 1988
Die Hard
de John McTiernan
A voir sur Orange – Canal – Filmo TV

Synopsis
John McClane, policier new-yorkais, est venu rejoindre sa femme Holly, dont il est séparé depuis plusieurs mois, pour les fêtes de Noël dans le secret espoir d’une réconciliation. Celle-ci est cadre dans une multinationale japonaise, la Nakatomi Corporation. Son patron, M. Takagi, donne une soirée en l’honneur de ses employés, à laquelle assiste McClane. Tandis qu’il s’isole pour téléphoner, un commando investit l’immeuble et coupe toutes les communications avec l’extérieur…

Replonger dans les délices d’un film d’action parfait. La matrice qui a engendré une multitude de copies (voir les films avec le casseur de bras Steven Seagal), de remakes à moitié avoués, de pastiches. Chef d’oeuvre impeccable avec un Bruce Willis au sommet et une mise en scène au cordeau. Un pur plaisir de cinéma et sans doute l’un des films que j’ai vu le plus grand nombre de fois (une bonne trentaine). Du cinéma, du Cinémascope total, imparable, jouissif. Le premier Die Hard c’est que du bonheur. Et il nous rappelle combien John McTiernan était indispensable au cinéma américain avant de se faire dévorer par la justice américaine. Prédator, Last Action Hero, Thomas Crown, le 13ième Guerrier, Une journée en enfer… Que du bonheur sur pellicule.

La légende de Baahubali – 2015
de S.S Rajamouli
A voir sur Netflix

Synopsis
Shivudu, recueilli au berceau par des villageois, grandi au pied d’une immense cascade. Malgré l’interdiction de sa mère, son rêve a toujours été de franchir cette frontière naturelle et d’explorer le monde caché en amont. Une étrange jeune fille lui apparaît un jour et l’invite à la suivre. Shivudu, mesmérisé, parvient enfin à escalader jusqu’au sommet. Ce monde nouveau, qui se découvre alors devant lui, lui réservera bien des surprises.

Un petit film Indien, ça vous tente ? Petit ce n’est pas le mot, le  film est une tornade spectaculaire. Un film qui vous fait redécouvrir le plaisir simple du cinéma grand spectacle. L’émerveillement face à des idées toujours plus folles et généreuses qui vous projettent dans une histoire épique. Jamais cynique comme peuvent l’être maintenant certaines productions américaines, Baahubali nous fais redécouvrir le sentiment enfantin de vivre sans aucune retenue une aventure spectaculaire au romantisme un peu fleur bleue et aux sentiments exacerbés. Un grand moment d’évasion et de rêves comme le cinéma ne nous offrent plus que très rarement.

C’est la première partie de cette fresque épique. Elle est disponible sur Netflix. Et peut se voir seule. Mais la deuxième partie devrait arriver bientôt.

Evolution – 2016
de Lucile Hadzihalilovic

Synopsis
Nicolas, onze ans, vit avec sa mère dans un village isolé au bord de l’océan, peuplé uniquement de femmes et de garçons de son âge. Dans un hôpital qui surplombe la mer, tous les enfants reçoivent un mystérieux traitement. Nicolas est le seul à se questionner. Il a l’impression que sa mère lui ment et il voudrait savoir ce qu’elle fait la nuit sur la plage avec les autres femmes. Au cours des étranges et inquiétantes découvertes qu’il fera, Nicolas trouvera une alliée inattendue en la personne d’une jeune infirmière de l’hôpital…

Pour moi, c’est l’un des films les plus marquants de 2016.

Evolution est une oeuvre à part, rare et précieuse. Un conte moderne, noir mais comme pouvaient l’être certains anciens contes d’Andersen. Et il y a dans Evolution une force ancestrale qui semble raconter une histoire éternelle et intemporelle. Un monde hors du monde, entièrement féminin (les seuls êtres masculins sont les enfants), mystérieux, fascinants et d’une beauté sombre.

Regarder Evolution c’est comme se trouver dans le tipi d’un Chamane à l’écouter nous révéler l’histoire de la création du monde. On est effrayé, hypnotisé et envoûté par l’esthétique, la texture des images, la poésies sensorielle qui s’en dégage. 

Evolution est un film dans lequel on se laisse couler, absorber et qui diffuse en nous la puissance d’un grand mythe encore inconnu. Le voyage est total et unique.

Il faut absolument regarder les films de Lucile Hadzihalilovic.

Tony Gagniarre