On ne peut plus faire public ensemble dans les salles, mais heureusement Tony nous garde en lien ! Il nous propose généreusement sa chronique Les Films à Toto, pour vous ouvrir les portes de sa cinéphile et de son univers… Après tout ça, il nous proposera une séance cinéma en vrai, il me l’a dit…

Je me réveille tôt aujourd’hui. La brume dessine sur la plaine un film translucide, comme une combinaison protectrice me rappelant pourquoi je suis là. Je sirote mon thé à la bergamote, la front posé contre la fenêtre, le regard absent.
Je profite de l’instant, cet instant d’absolue sérénité matinale. Une culpabilité légère m’assaille, j’ouvre la porte-fenêtre pour la laisser s’enfuir. Mais c’est la campagne alors il fait froid. Je referme vite fait et retourne à la cuisine manger un carré de chocolat à la fleur d’oranger. Cette solitude me pèse et me porte. Je recentre mes priorités, repense mon humanité.
Je m’assieds face à mon grand bureau en merisier comme si je montais sur un ring livré une bataille capitale.
Et… Y’a rien qui vient ! Juste je me réveille. Je suis dans mon appart’ en ville. Il fait beau dehors, j’essaye de m’en foutre.
Baaah, ça va ! On vit à deux, il est grand.
En fait, j’aimerais produire ou dire des choses intéressantes voire capitales. Mais ça ne vient pas, ça ne vient décidément pas. L’angoisse ne me quitte jamais totalement. Je ne suis pas en vacances ou en repos. J’attends le jour d’après. Je reste en tongues toute la journée, passe mon temps devant un ordinateur, des crottes au coin des yeux, une perpétuelle odeur de vieux café et de vap Menthe Citron en forme d’haleine et avec un arrière fond de camembert qui fait à lui tout seul office de geste barrière. J’ai perdu la semaine dernière mon dentifrice mais je ne me résous pas encore à me laver les dents au savon. Je pourrais, j’en ai acheté beaucoup trop parce qu’il y avait plus de pâtes. J’essaye de ne pas rester en slip toute la journée mais faut dire ce qui est, on n’est bien plus à l’aise !  Mes cheveux sont tellement gras qu’il suffit que je les frotte dans la poêle pour faire cuire des oeufs. Voilà, je suis dans un état entre abandon total et reconstruction partielle. Je cherche de plus en plus à m’éloigner de l’actualité pour ne pas devenir un genre de vampire suçant la moelle du monde pour en extraire le jus d’un contentement personnel. C’est à peu près la seule chose dont je suis sûr après tout ça. Il faudra arrêter d’être un vampire. 

Du coup en cherchant dans les profondeurs de mes liens internet je suis tombé sur la musique de James Booker, pianiste fou de la Nouvelle-Orléans. Et voilà comment…

Mais d’abord un petit prologue sur un film vu hier soir. 

The Factory – 2019
de Yuri Bykov

Synopsis
Réagissant à la vente frauduleuse de leur usine, plusieurs ouvriers décident d’enlever l’oligarque propriétaire des lieux. 
Ils sont menés par “Le Gris”, un ancien des forces armées. L’enlèvement tourne à la prise d’otage, et, rapidement, la garde personnelle du patron encercle les lieux.



Disponible sur Canal / Filmo TV / Univers Ciné / Orange




Nouveau film russe après l’excellent Why don’t you just die de Kirill Sokolov et troisième film du réalisateur après L’idiot (2015) et The Major (2013).
Un thriller social tendu et rugueux comme un peau craquelée par le gel. C’est sûr que ce film ne vous mettra pas du baume au coeur et des pâquerettes dans les yeux. Mais c’est une sacré bonne claque !
À travers ce huit-clos radical le réalisateur aborde la révolte, la justice, l’inégalité sociale, la lutte des classes avec rage et détermination. Sa mise en scène convoque avec talent l’imagerie des films de genre : un lieu unique ; une usine défraîchie rouillant sous une pluie diluvienne, presque un territoire fantomatique ; des ouvriers au bout du rouleau ; une milice assaillie par le doute ; des policiers paumés qui ne savent plus vraiment ce qu’ils doivent faire… Bref un pays au bout du rouleau.
Le réalisateur met les pieds dans le plat, renvoie tout ce joli monde dos à dos et érige dans sa dernière image un anti-héros qui n’est pas sans rappeler le solitaire Mad Max. Puissant.



Vous connaissez Nicolas Winding Refn.
Le réalisateur adulé de, notamment, DriverOnly God ForgivesThe Neon Demon pour le plus connus.
Mais aussi Le Guerrier Silencieux (sans doute son chef d’oeuvre), Bronson et la trilogie Pusher pour le plus anciens.
Bon ben NWR, puisqu’il est devenu une marque est aussi un cinéphile passionné. Du genre à mettre sans aucun doute au côté de Quentin Tarantino, avec plus d’amour pour le cinéma d’exploitation bis et déviant qu’il n’en a pour lui-même. Contrairement à Quentin mais c’est une autre histoire.
Nicolas Winding Refn aime le cinéma d’exploitation dans tout ce qu’il a de plus sale, érotique, dérangeant, violent. La preuve ? Son livre L’Art du regard est un ouvrage de luxe qui compile plus de 300 affiches de cinéma comme le catalogue d’une exposition d’oeuvre d’art.
Pour lui le bon goût est certainement une affaire d’esthète qui préfèrent briller que mettre en avant des oeuvres oubliées parce qu’elles ne représentaient pas ce qui était acceptable à l’époque. 


Un autre exemple ? Son site exemplaire est totalement gratuit. 

ByNWR.
Le site propose de regarder des films pour la plupart totalement inconnus, des raretés oubliées, invisibles cultivant le mauvais goût. C’est à dire une forme de contre culture joyeuse qui s’affranchit de toutes les règles morales des époques dans lesquelles ils ont été réalisés. Mais pas seulement, le site est très bien fait. Il n’aborde pas seulement le cinéma ; au cours de dossiers thématiques aux titres aussi évocateurs que Régional Renegades ; Les Chaînons Manquants ; Hillbillies, Hustlers and fallen angels ; Smell of female, dossiers fournis et témoignages nous font découvrir une autre culture musicale, photographique et cinématographique. Une culture profondément underground qui faisait de l’art avec des choses encore considérées comme toxiques et sales. C’est tout ce que le site byNWR nous invite à découvrir et le voyage vaut le détour. C’est autour de mes pérégrinations sur le site que j’ai découvert James Carroll Booker 3. Pianiste de la Nouvelle-Orléans gay, borgne, drogué et bi-polaire. Harry Connick Jr, son seul disciple (son père avait payé la caution de James Booker) en échange de cours donnés à son fils) le considère comme le plus grand pianiste de tous les temps…

James Carroll Booker



Vous pouvez en doutez mais allez faire un tour sur le site de Bayou Maharajah que la réalisatrice Lily Keber lui a consacré (et dont elle raconte la difficile réalisation sur le site byNWR). Le documentaire a permis de remettre dans la lumière la musique de cette personnalité incroyable. Cette musique m’a terrassé.

Tony Gagniarre