Depuis quelques jours, on observe sur les réseaux sociaux, des plumes qui nous touchent, qui nous chatouillent, qui nous inspirent. On s’est dit que ce serait cool de vous en faire profiter. Billet d’humeur, poésie, récit, témoignage, la traversée des jours qui nous isole les uns des autres ne sera que plus douce, accompagnée par la lecture de nos amis qui témoignent du monde par leur fenêtre…
La Négresse à cheval nous propose de visiter le pays des nomades à Cormatin.


Souffle des confins – Jour 1
Le pays des nomades de Cormatin

Je vous écris de la lisière, de cette frontière tacite où s’efface l’humain pour laisser place au bocage.
Je hante l’orée du monde, bordure tissée en marge de cette Bourgogne du sud si belle, une doublure que ne voient que les paysans ou les promeneurs du dimanche. De ma coquille de noix plantée en plein champ, en plein vent, j’entends plus que je ne vois le drame qui se trame.
Les voitures passent de loin en loin, les trains s’espacent, le flux et le reflux des avions hauts dans le ciel prennent un rythme dolent, lent, vague. J’ai l’impression curieuse d’être à bord d’un bateau qui prend le large. J’ai mauvaise conscience, mon quotidien n’est bouleversé que par cette surprenante percée du printemps.
J’entends au travers de mon oreille virtuelle le bouleversement qui agite le monde, je sais intellectuellement les affres et les angoisses qui heurtent maintenant les vies.
Moi, je me tiens sur le seuil, telle une enfant prise en faute, j’observe les adultes crier et s’agiter en une langue que je ne comprends plus vraiment. Les pruneliers sont en fleurs et ils bordent d’une dentelle vibrante le bleu de ce ciel de mars. Les oiseaux récupèrent le poil d’hiver des chevaux qui constelle en une neige tardive le terrain qui abrite mes frasques.
Car, je joue encore, je danse et je voltige avec mes amis équins, seule avec ma moitié, mon double, mon âme sœur, il joue de la musique et nous peuplons notre aire de liberté d’un chant incertain en réponse au sérénades inspirées de passereaux déjà amoureux.
Et si cette mise en parenthèse de l’agitation quotidienne était une chance, si c’était l’occasion de revoir nos copies, de faire ce pas de côté pour regarder d’une autre perspective, si ce « confinement » était l’opportunité d’une introspection, si cette pause devenait un entraînement pour un changement de cap ?
Le soir est tombé, les grenouilles coassent leur chants d’amours amphibiennes, les étoiles scintillent et le train de satellites d’Elon Musk scande le firmament. Le printemps murmure sa douce mélopée chargée de promesses.
Je pense à ma famille, à mes amis, peut-on aimer à distance ?

La Négresse à Cheval

Cormatin, Terrain des nomades, 19 mars 2020

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