À peine plus de 150 ans et une histoire déjà lourde d’un passé ouvrier « mal révolu ». Le virage du troisième millénaire n’a pas été des mieux négociés, que faut-il garder, que faut-il enfouir ?
Non loin de là, les communicants se targuent de slogans punchy : « Ville ou campagne, les deux c’est mieux », ici il serait déjà bien d’avoir une des deux, d’avoir un choix. Industrie ou agriculture, histoire ou avenir, fierté ou orgueil, toute une vie le cul entre deux chaises.
Il y a mille façons de d’appréhender l’identité d’un territoire, nous avons choisi cette fois, de questionner deux spécialistes des espaces : Emmanuelle Limare est ingénieure-paysagiste au CAUE de Saône-et-Loire, Thomas Héritier est lui, encadrant technique et pédagogique pour l’Atelier du Coin et armé d’une formation d’architecte.
Végétal, minéral, metallique, notre environnement nous a façonnés et façonne encore notre projection des futurs possibles. Entretiens croisés.

Avec un centre aux allures de ville du far-west américain, coincé entre le chemin de fer et le canal et sa ceinture de quartiers ouvriers, Montceau semble particulière dans sa construction. Comment l’analysez-vous ? Quelles sont les particularités exactes et quels sont les impacts sur la vie des habitants d’hier et d’aujourd’hui ?

Thomas Héritier

La forme urbaine de Montceau les Mines est particulière du fait de son site naturel (imaginez Montceau sans la ville : avec ses prés en pente douce, ses collines boisées parsemées de chaos granitiques, son ruisseau serpentant au milieu des joncs et des saules…) et de ce que les hommes en ont fait, en particulier lors du développement industriel et minier débuté au milieu du XIXe siècle, qui a fixé de façon très forte et dans un temps très court – en quelques dizaines d’années seulement – l’organisation de la ville : les voies de circulation, la disposition des quartiers commerçants et institutionnels, les quartiers d’habitation, les limites et les franges…

Emmanuelle Limare

Dans ce paysage de bocage, le canal était déjà présent, construit depuis la fin du XVIIIè… Constituant un moyen de transport opportun, il a favorisé l’implantation de la Compagnie des mines et l’exploitation de la houille. Ainsi, la ville s’est développée suivant cette «  colonne vertébrale  »  : d’un côté les bâtiments de la Compagnie, de l’autre la ville institutionnelle, commerçante et de l’habitat.

… on peut dire que Montceau-les-Mines fait partie des villes qui sont sorties de terre très rapidement, et qui maintenant semblent au ralenti…

Thomas Héritier

Comme la vie humaine, les villes sont des phénomènes en perpétuelle transformation. Mais il arrive qu’à certains moments les transformations soient rapides, voire fulgurantes (fondation, démolition), et qu’à d’autres le temps semble s’écouler beaucoup plus lentement et que les transformations soient quasiment invisibles à nos yeux.
De manière un peu raccourcie, on peut dire que Montceau-les-Mines fait partie des villes qui sont sorties de terre très rapidement, et qui maintenant semblent au ralenti, trop éloignées des territoires à l’urbanisation actuellement galopante que sont nos métropoles, et peut-être encore sous le coup de cette poussée de croissance toujours très visible.
Concernant les particularités de la ville, je dirais tout d’abord que son aspect «  ville nouvelle  » se retrouve dans son organisation en damier (rues à angle droit quel que soit les dénivellations du terrain) très prégnante au centre-ville et déployée aussi dans les quartiers d’habitations ouvrières. C’est un trait commun assez caractéristique de ce type de ville.

Emmanuelle Limare

Remarquons qu’une ville, même nouvelle, montre un rapport à son territoire ! Un observateur attentif trouvera dans chaque quartier des indices relatifs à son contexte géographique  : certains quartiers, en hauteur, s’ouvrent vers le centre-ville et le canal, la Bourbince et sa végétation arborée, vers Sanvignes, vers les collines bocagères vers la Sorme…, d’autres offrent des percées vers l’étang du Plessis, sa forêt et le château, vers le quartier de Bellevue et le clocher de son église.

Thomas Héritier

Un autre aspect bien sûr essentiel est celui d’une ville «  fille de la révolution industrielle – fin XIXe et début XXe  ». Cela est visible dans une organisation urbaine très hiérarchisée (institutions / centre-ville / quartiers ouvriers – reflet de l’ordre social de l’époque), dans la place faite aux circulations typiques du XIXe (le canal, la voie ferrée), dans certaines architectures inspirées de l’art-déco (La Poste, Les établissements Blanchard…) et dans les matériaux tels que le métal (Pont Levant) ou la brique teintant quelques beaux murs de la ville (Usine Aillot).

Emmanuelle Limare

Certains de ces bâtiments montrent un réel intérêt architectural et historique  ! Une attention particulière était même portée aux façades principales des modestes maisons d’habitation, aux ouvertures encadrées par des modénatures de brique ou de pierre.
Mais le passé minier et industriel de la ville a aussi laissé un patrimoine bâti, un héritage parfois lourd à porter  – qu’il soit de taille gigantesque, inadapté aux usages actuels, voire à l’image peu valorisante. De même, nous avons aujourd’hui du mal à nous approprier de vastes espaces comme les larges quais du canal ou les grands espaces vides aux Alouettes (ancien port).
La forte identité minière se traduit aussi dans l’existence des cités d’habitations, à proximité d’anciens sites d’extraction du charbon. A petite distance du centre-ville, ce sont organisés de petits «  bourgs  » presque autonomes, autour d’une église (Magny, Bois du Verne, Bellevue, la Saule), avec une école, des commerces, une place et une salle de rencontre…. Les quartiers d’habitat individuel montrent des maisons aux façades bien composées, souvent animées par la brique, alignées sur rue, privilégiant des jardins étendus à l’arrière pour le potager et les petits élevages. Ce modèle urbain rappelle quelque peu les cités-jardins, et n’a rien à envier aux actuels lotissements  !
Les jardins (autrefois lieu de labeur, de partage, potager traduisant les habitudes paysannes, rythmant la vie et la journée) constituent aujourd’hui des lieux de production potagère et fruitière, de vie familiale agréable. Nos jardins côte-à côte – véritables parcs – constituent des havres et des corridors de biodiversité  ! La vie sociale est développée et l’entraide, les discussions entre jardins/sur rue existent encore.
On remarque aussi que chacun exprime également un sentiment fort d’appartenance à son quartier…  : «  je suis de la Saule  », «  j’habite le Bois du Verne  », sans forcément citer Montceau-les-Mines…

Difficile de s’approprier la ville lorsqu’elle est en grande partie le fruit du paternalisme des Chagot  !

Thomas Héritier

Mieux vaut se fier à ses proches, ses voisins, son quartier. Mais peut-être qu’aujourd’hui encore la ville manque de cette vision globale et de l’idée que la ville n’est pas qu’une juxtaposition de quartiers mais un territoire que chaque habitant peut parcourir et s’approprier.

Emmanuelle Limare

Cette organisation en «  cités  », combinée avec des ruptures physiques et paysagères récentes et marquantes (comme la RCEA), peine à fédérer les habitants de cette petite ville…

Thomas Héritier

Autre particularité, l’aspect «  ville endormie  »  ! Il se remarque notamment dans la lenteur des transformations, dans le délabrement de certains bâtiments et l’absence de réels débats sur l’évolution urbaine de Montceau-les-Mines – à quand une ZAD à Montceau  !
Montceau est malheureusement aussi, comme la plupart des villes françaises, une ville marquée par les aspects «  30 glorieuses  et banalisation » qui lui vaut de laisser beaucoup (trop) de place à la voiture et de s’étaler parfois en de longues et ennuyeuses constructions individuelles réduisant le paysage et les rapports de voisinage à une morne indifférence.
Quels sont les impacts  de toutes ces particularités ? Est-ce que ce sont les habitants qui font la ville  ? ou est-ce la ville qui façonne ses habitants  ? Les deux sont très certainement  liés !
Bien sûr que notre cadre de vie nous ouvre des possibilités (se balader au parc minier, profiter d’un marché sur les quais…) et nous confronte quotidiennement à des contraintes (comment traverser la 9ème à pied sans se faire écraser  !). Mais n’oublions pas que chacun de nous participe aussi à ce qu’est la ville, à travers la façade de son habitation, l’attention qu’il porte à son voisin, sa présence dans les lieux publics, sa participation aux réflexions pour mieux vivre ensemble… et bien sûr aussi à travers son bulletin de vote  !


Pour être plus précis, qu’est-ce que ces particularités, ces contraintes, permettent ou empêchent ? La contrainte dans la construction d’une ville bloque-t-elle nos imaginaires d’habitants ? Peut-on transgresser les règles établies à ces grandes heures et penser cette ville autrement ?

Thomas Héritier

Les particularités de la ville, ses caractéristiques, ses différents aspects, plutôt que de «  permettre  » ou d’«  empêcher  », doivent être vus comme un héritage commun qui possède certes ses qualités et ses défauts, mais qui ne nous empêche pas d’agir et de poursuivre la construction de la ville.
Ces particularités nous obligent effectivement à composer avec elles. On ne peut pas faire table rase de ce passé, ni de la réalité de la ville actuelle (sa situation géographique, sa démographie, ses ressources…) mais il nous est tout à fait possible de ne pas rester endormi par la lenteur du temps, et de ne pas non plus demeurer fasciné par l’image révolue d’une ville créée dans le tourbillon des siècles derniers.
Pour cela il faut justement convoquer, confronter, nos imaginaires et cesser de voir dans les ruines la fin d’une ville ou des vestiges à mettre sous cloche, mais plutôt les matériaux avec lesquels nous pouvons construire le présent.

Emmanuelle Limare

Je suis tout à fait d’accord  ! Cet héritage commun fonde une identité forte, pour la ville et pour ses habitants.

L’évolution d’une ville tient à une adaptation récurrente, qui s’appuie sur ses atouts pour rebondir  ! Et puis contrainte et difficulté génèrent souvent la créativité…

Thomas Héritier

Pourquoi alors limiter son imaginaire  ? Pourquoi ne pas faire des caractéristiques de Montceau-les-Mines un puissant moteur à imagination capable de faire apparaître de nouvelles perspectives  ?
Montceau n’est-elle pas une «  ville nouvelle  » organisée selon un plan en damier  ? En cela elle est sœur de San Francisco, des bastides médiévales et des premières colonies grecques  ! De nouveaux modèles pour transformer la ville  ?
Montceau ne possède t’elle pas une longue façade urbaine donnant sur un canal  ? Inspirons-nous de ces villes au bord de l’eau où les canaux sont plus que de simples voies de passage  : Venise, Bruges  !
Bon nombre de friches parsèment le territoire montcellien  ? Accompagnons la reconquête de ces terrains par la végétation et acceptons que la ville diminue son emprise  !
La gare et la voie ferrée sont au cœur de la ville  ? Adaptons les pour en faire un trait d’union et un transport interurbain entre les communes du bassin minier et de l’agglomération  !
Les quartiers de la ville ne se rassemblent pas  ? Organisons des lieux et des évènements pour se rencontrer, rêvons à la Piazza del Campo de Sienne et à son célèbre Palio  !
Qui aurait dit il y a 50 ans que les exploitations minières entre canal et RCEA deviendraient un parc arboré très apprécié des habitants  ? Et que d’anciennes halles abriteraient un lieu culturel d’envergure  ?
Par ailleurs, s’il existe des contraintes et des règles en matière d’urbanisme (plan local d’urbanisme intercommunal, périmètres de protection des monuments historique…), elles servent généralement de cadre pour limiter – ou normaliser – certains agissements. Mais en ce qui concerne nos «  imaginaires d’habitants  » et la façon de penser notre ville, ce qui nous freine le plus ne sont à mes yeux ni ces règles, ni les caractéristiques urbaines ou l’histoire de la ville, mais bien plutôt l’absence d’échanges justement constructifs autour de cette question d’aménagement et de ménagement de notre espace de vie commun.

Emmanuelle Limare

Les règles sont un cadre commun mais leur application  doit ouvrir des espaces de liberté et d’adaptation. Mais avec un peu d’imagination, des alternatives sont souvent possibles. L’occupation de l’espace public est par exemple réglementé ! Mais avec autorisation, de petits marchés, des manifestations, des concerts, etc. sont tout à fait possibles.
Autre exemple, de plus en plus de communes permettent aux habitants de réaliser des plantations dans les rues, devant chez eux ou dans des sites dédiés. Au CAUE, nous travaillons avec les habitants pour la mise en valeur de rues grâce à des plantations en pied de murs, sur l’espace public. Accord tacite ou conventionnement simple peuvent être passés. Laissons un peu de liberté aux semis spontanés, aux fleurs dépassant des clôtures, pour des rues plus agréables ! Vivre ensemble, c’est aussi occuper l’espace public pour le bien-être de tous.


Qu’est-ce qui selon vous et dans votre domaine d’intervention, serait souhaitable ou rêvé pour un nouveau développement de notre ville, en prenant en compte les problématiques qui ont surgi ces dernières années (écologie, vivre ensemble, vivre mieux, attractivité) ?

Emmanuelle Limare

Aujourd’hui, l’envie de retour à la nature est forte. Montceau propose un cadre de vie intéressant, de «  ville à la campagne  ». Nos petites maisons des cités, une fois réhabilitées, ne constituent-elles pas des logements intéressants pour les jeunes couples, les personnes seules ou âgées par exemple, bénéficiant d’un jardin et de la proximité des commerces et des services  ?
D’autre part, bon nombre de villes réfléchissent à limiter l’utilisation de la voiture en ville. À Montceau, les quartiers d’habitations se situent tous à moins de 2 km du centre, ouvrant de grandes possibilités pour les déplacements doux à favoriser  !
Les actuels enjeux climatiques et les préoccupations autour du bien-être réinterrogent la place de l’eau et de la végétation dans nos espaces de vie : comment adapter les espaces publics à ces enjeux forts  ? Quelle place attribuer aux arbres et aux plantations en pleine terre, apportant ombrage et fraîcheur dans les rues durant la belle saison  ?
Quel avenir pour ses immenses espaces attenants minéralisés, qui concentrent la chaleur du soleil, occupés aujourd’hui par des voitures, véritable coupure entre le canal et la ville  ? Comment reconquérir ces espaces pour retrouver une perméabilité des sols et une certaine biodiversité  ? Des lieux agréables invitant habitants et touristes à se retrouver à proximité immédiate du centre-ville ?
Les jardins, enherbés, arborés, apportent ombrage et fraîcheur à proximité des maisons. Il est important de sensibiliser les habitants à la préservation de ces lieux de verdure et au renouvellement des arbres, au sol perméable, à la récupération des eaux de pluie pour le jardin… Les clôtures «  légères  » permettent de laisser passer la petite faune, mais aussi de discuter avec ses voisins  !
Au regard du nombre de terrains libres ou en friches, pourquoi ne pas développer des vergers, des potagers, voire un véritable système de production à échelle plus large  ?

… partons du principe qu’un certain monde est en ruine et que l’on y habite déjà. Que l’on soit à Montceau-les-Mines ou ailleurs sur cette planète…

Thomas Héritier

Pour créer des transformations durables il est indispensable de s’appuyer sur les lieux clés de la ville, capables de servir de levier aux transformations à venir. Par exemple les points de passage «  obligés  » sur le canal (autour de la 9eme écluse, de part et d’autre de la passerelle piétonne, vers le Pont Levant).

Emmanuelle Limare

Les espaces centraux des quartiers en font aussi partie. Ils constituaient autrefois des lieux de vie, ces places de quartiers accueillaient – et accueillent encore parfois  ! – le boulodrome, le bal, les fêtes… Ces espaces sont générateurs de vie publique ; celle-ci peut aujourd’hui être portée par les associations, les initiatives privées…
Chaque quartier possède un équipement, un site qu’il serait certainement intéressant de partager à l’échelle de la ville… Une piste pour fédérer la ville ?

Thomas Héritier

Construire une ville plus adaptée à ces nouveaux enjeux, cela passera par de multiples actions  – en vrac et dans le désordre  : des débats, des échanges, des partages d’expériences  ; une approche participative incluant habitants, techniciens et élus  ; des formations pour tous, de la sensibilisation, des visites et des voyages ; une maison des projets, le développement de filières de matériaux locaux, des chantiers participatifs ; des expérimentations, des aménagements provisoires ; une attention particulière à certains lieux clés de la ville pouvant créer une dynamique de plus grande envergure ; un investissement conséquent sur les secteurs les plus défavorisés…
Pour conclure, et pour faire écho au titre du magazine, partons du principe qu’un certain monde est en ruine et que l’on y habite déjà. Que l’on soit à Montceau-les-Mines ou ailleurs sur cette planète, regardons simplement autour de nous ce qui nous environne, qui est notre voisin, et cherchons à bâtir ensemble quelques lieux de vie capables de préserver l’intimité de chacun, d’abriter ce qui nous rassemble et de porter les valeurs que l’on veut défendre, nous construirons alors peut-être ainsi un peu de ville.

Propos recueillis par Benjamin Burtin, décembre 2020
Illustrations : Thomas Héritier – Le Journal d’Albane à Montceau-les-Mines – 2016