Bien avant de s’emparer des SM58 de toutes les salles du coin, LETO surprenait les passants de la ville par des collages impressionnants, intriguait par ses dessins et ravissait les petits collectionneurs qui voulaient dynamiter les murs de leur salon, à coups de personnages parfois violents mais toujours sensibles.
L’artiste est complet, sans limite puisque la démarche est au coeur de toute pratique, l’homme lui, a des choses à dire. Donc autant profiter de la sortie d’un nouveau clip confectionné par ses petites mains pour lui poser quelques questions sur son parcours passé et ses implications bien présentes.
Leto – The Beast

On te connaît aujourd’hui au micro mais tu as et tu es toujours dessinateur, plasticien, colleur d’affiches et peintre. Raconte-nous ce parcours.

Je crois avoir toujours dessiné, pendant toutes ces années, l’enfance, l’adolescence, la petite vie d’adulte. Comme beaucoup d’enfants, j’essayais de créer mes propres personnages, en m’inspirant des images qui me marquaient. Pendant mon adolescence je me suis essayé à la peinture à l’huile et à l’acrylique. J’ai également utilisé des pastels et des peintures aquarelles. Je me suis rendu compte que les techniques et les outils influençaient grandement ce que je dessinais ou ce que je voulais exprimer. Pendant cette période j’ai fait quelques BD avec des copains, d’un niveau intellectuel plus que douteux et d’une vulgarité sans nom, mais ça me faisait beaucoup rire. Dans certains de mes cours au lycée et à la fac, je pouvais passer des heures à dessiner, à même la table. Il me fallait plusieurs cours pour terminer, mais le résultat était classe (plus classe que les résultats de mes interros et de mes partiels).
Après la faculté, passage en banlieue parisienne, la claque du graffiti, de la culture urbaine et du street art. Le côté «  impose ton style et rien à foutre  » m’a beaucoup parlé.
Retour sur Chalon-sur-Saône, je rencontre Sylvain CHAIX (graffeur emblématique de Chalon, qui bosse sur Lyon, un style de dingue), il me forme, on fait pas mal de fresques ensemble, je rencontre d’autres graffeurs (Snare, 2nets) et m’imprègne de cette culture en participant à des jams. Pendant cette période un de mes grands plaisirs était d’aller poser un lettrage ou un personnage dans des lieux abandonnés, des ruines, des maisons, des anciennes usines.
L’envie d’aller imposer mes œuvres dans la rue s’est fait de plus en plus présente. Mais je voulais vraiment pouvoir poser des œuvres abouties, sans être pressé par le temps. Je me suis mis à peindre chez moi dans mon garage sur de grandes nappes en papier que je collais ensuite dans la rue. J’adore faire ça, tu repères un mur, tu as une idée, tu la concrétises… Tu viens en pleine journée et en 5’ tu colles un personnage de 2m/2m… Les passants sont intrigués, les enfants rigolent… et pfouit… tu disparais.
J’ai pu également participer à des expositions. C’est une autre démarche, plus introspective. J’ai pu y présenter mes sculptures en argile et en papier mâché (faire vivre ses personnages en 3 dimensions, c’est trop bien…) ainsi que mon travail sur toiles.
Récemment j’ai eu l’occasion de travailler sur des affiches de grand évènement, notamment avec l’Espace des Arts, c’est plus compliqué pour moi, mais ça m’apporte beaucoup finalement… Tout dépend avec qui tu travailles, mais c’est l’idée que parfois les cadres te donnent plus de liberté, en t’emmenant sur des chemins que tu n’avais jamais explorés.

Qu’est-ce qui t’a conduit vers la musique ? En quoi est-ce compatible ou complémentaire avec ce que tu faisais avant ?

La musique à la base, c’est une guitare trouvée dans le grenier, des petites compositions, puis un groupe de rock français avec les copains. S’en suit une grosse période arts plastiques, street art, graffiti, peinture sculpture, expo. Et puis un jour je vois une chorégraphie de moderne jazz sur La vie c’est de Kery James. J’écoute ce morceau au milieu des corps en mouvement. Un morceau sans refrain, écrit comme une dissertation, et là, je me suis dis… C’est ça que je veux faire.
Le projet Leto Punk Poésie (rap électro) est né comme ça.
Je dis souvent que le projet musical et plastique c’est le même projet, l’un nourrit l’autre. Les démarches de création (je ne vais pas rentrer dans les détails, ça serait un peu long) sont pratiquement les mêmes.
Mes textes se retrouvent sur les fonds de mes toiles ou en tatouages sur le corps de mes personnages. Et puis on m’a fait remarquer que je reprenais sur scène des postures de personnages que j’avais dessinés ou peints.
Mais le véritable lien de ses différentes postures artistiques se situe au niveau de la démarche. La vie est sacrée bien sûr, mais ce sont surtout les moments vécus qui sont importants de mon point de vue. Et mon objectif est vraiment de créer les conditions pour vivre et partager des petits moments d’existence forts, uniques et précieux. Des petites perles que je garde au fond de moi comme des trésors. Chaque exposition, chaque concert, chaque création, chaque étreinte avant de monter sur scène, chaque affiche collée en rue, chaque atelier, chaque discussion autour de l’art et la création…
Jusqu’à preuve du contraire on n’a qu’une seule vie, alors j’essaye de prendre soin de tout ça, bon ce n’est pas toujours évident, mais j’essaye de faire au mieux.

La vie est folle – Le clip

Raconte-nous l’histoire de ce clip ? Comment as-tu procédé et pourquoi à ce moment-là ça s’est imposé de mixer tes 2 pratiques ?

J’ai lu de la très belle poésie ces dernières semaines et ça m’a beaucoup… inspiré.
Le texte est partie d’un sample utilisé par NTM « i make music for my people ». Je fais de la musique pour mon peuple. La question de pour qui et pourquoi on fait les choses.
Et puis dans le même temps, j’ai fait une mise à jour de mon logiciel de dessin, cette mise à jour incluait un assistant d’animation. Je me suis un peu amusé avec, j’avais quelques bases d’animation. Et puis je me suis dit, ça serait cool de faire un clip, j’ai un peu de temps avec le confinement. Je me suis lancé. J’ai d’abord laissé le stylo et ma main libre, cheminer tranquillement, sans cadre, mais avec de la poésie et de la musique dans la tête. Puis petit à petit j’ai construit un scénario, des scènes… Et ça devient tout de suite beaucoup plus compliqué, faire bouger des monstres, des animaux ou des humains. J’ai du entrer plus précisément dans les fondements de l’animation, les poses clés, les bases du mouvement. J’ai réalisé environ 2000 dessins sur ce clip.
Mais tout ça s’est fait grâce au temps que j’ai eu sur cette période si particulière. J’ai appris beaucoup de choses et ça, c’est également très important pour moi… Ne plus être la même personne, après chacun de mes projets, avancer vers quoi je veux tendre, essayer d’évoluer, être en mouvement, ne pas se figer dans un rôle.
Donc rien ne s’est vraiment imposé, ça c’est fait… comme ça… l’envie de se faire plaisir et puis l’envie aussi… de partager… et puis d’offrir.
Mais je ne te cache pas que j’étais comme un gamin, voir mes personnages vivre et se développer sous mes yeux, et puis dire des choses, sans que j’aie à parler, parfois je crois être plus précis dans ce que je veux exprimer sans les mots.

Nos villes font elles encore place au Street Art ? Le mouvement est-il toujours aussi actif ? Comment tu t’y inscris toi ?

Tu sais, de mon point de vue, les villes, les instances, n’ont pas forcément à faire de la place au Street Art ou non. Bien sûr je trouve que les festivals de Street Art, les commandes aux artistes de fresques sur des bâtiments, tout ça c’est cool. Voir des œuvres monumentales dans nos villes c’est vraiment chouette. Mais ce que j’aime vraiment ce sont les œuvres que je découvre dans lesquelles on sent que les seuls cadres moraux posés l’ont été par l’artiste et par lui seul.
Depuis 3-4 ans je ne suis plus actif en rue. J’ai eu beaucoup de projets de création qui m’ont demandé pas mal de temps. Je t’avoue que ce que je souhaite c’est m’exprimer, dans une peinture, dans un dessin, dans un rap, dans un poème, dans une danse, dans une sculpture. Et je retournerais en rue dès que j’aurais moins l’occasion de m’exprimer ailleurs ou bien quand je sentirais que je suis en train de faire des choses pour de mauvaises raisons.
Bon objectivement, je n’aurai pas assez de cette vie pour faire tout ce que j’avais prévu… et ça… ça m’énerve de ouf.

Quel regard portes-tu sur la période que l’on vit ? La situation de la culture post-COVID ?

Aie aie aie…la question est complexe et je crois que je n’aurai pas assez de mots pour décrire ce que je ressens vraiment.
Je suis très en colère… De ce que l’ont fait de notre école… Et de la façon dont on le fait.
Je suis très en colère… De ce que l’on fait à notre système de santé et à notre service publique.
Je suis très en colère face à notre perception du vivant, qui est intimement lié à la perception que nous avons de l’autre, cet humain, si différent et pourtant si semblable.
Et je suis très en colère face à l’incapacité que nous avons tous à ne pas nous écouter, à ne pas se mettre à la place des autres. Ne pas être d’accord n’est pas un problème en soi, heureusement que nous avons tous des divergences de points de vue, mais le projet républicain impose de la concertation, de la concession, de l’humilité, de l’empathie et puis des éthiques personnelles poussées.
La France est un pays magnifique.
Je vais te livrer une petite partie de mes pensées… Attention, ça ne veut pas dire que j’ai raison.
Il faudrait s’en souvenir, il faudrait se le rappeler que notre pays est magnifique, se rappeler que nous sommes un peuple, beau, fière et respectable ; se rappeler qu’un peuple c’est simplement l’ensemble des individus qui vivent sur un même territoire. On ne peut pas aimer le monde si on n’aime pas son peuple, car notre peuple fait partie du monde.
Et puis notre peuple a besoin d’école, d’une belle école. Une école publique dans laquelle pourrait se côtoyer les enfants des élites et les enfants des couches populaires, ce qui est de moins en moins le cas dans notre pays.
De l’éducation à tout niveau. De l’éducation à la connaissance, parce que la connaissance ouvre le champ des possibles d’une existence et puis de l’éducation à la fraternité pour pouvoir faire vivre notre projet républicain.
Je vais m’arrêter là mais je pense que tout ça est lié de façon très intime à tous les problèmes que notre pays rencontre depuis une dizaine d’années.

Leto – Fuck your world
Leto – Virus Fish

Quels sont tes projets à venir ?

Mon premier album devrait voir le jour en 2021, avec des petites surprises pour ceux qui suivent et ceux qui découvrent.
Je travaille sur une nouvelle exposition ainsi que sur un spectacle musical de rue.
Des nouveaux morceaux en préparation.
Et puis des projets en cours dont je ne peux pas encore parler… mais s’ils aboutissent… ça devrait être sympa…

Interview : Benjamin Burtin

Pour suivre Leto :
https://www.flickr.com/photos/letoone
https://www.facebook.com/Letopunkpoesi