C’est quoi les Hallucinations Collectives ?
Pour ceux qui ne connaissent pas encore le festival lyonnais qui s’est tenu du 1 au 7 septembre dernier, les malheureux, la sélection est un mélange d’avants-premières et de films plus anciens issus du patrimoine historique de cinéma bis, du cinéma d’exploitation et du cinéma de genre. Plus largement, Hallucinations Collectives, depuis plus de 13 ans, c’est un Cinéma autre, étrange et décalé. Des œuvres souvent méconnues, des bijoux diffusés dans la meilleure copie et dans les meilleures conditions. 

J’ai déjà parlé du festival : Rituels et hallucinations. Mais Hallucinations Collectives, c’est bien plus.

C’est une giclée de sauce Sriracha qui relève la saveur du cinéma. C’est choisir la piste noire du grand écran quand, jusque-là, tu pratiquais paresseusement le ski de fond ; décider de se séparer pour aller explorer une maison à l’abandon avec un briquet à la main et les règles du cinéma d’horreur en tête. C’est une matière visqueuse et inconnue, qui révèle des saveurs musquées étrangement attirantes. C’est l’inconnu(e) derrière la porte verte, la tâche sur un mur immaculé, le cliquetis d’une chaîne raclant le sol dans l’obscurité… 

« Hallucinations Collectives : c’est une oreille coupée dans le jardin d’un pavillon de banlieue ; une exploration sensorielle, sensuelle et pulsionnelle du cinéma qu’on aime. »

L’équipe d’Hallucinations Collectives et Zone bis, c’est des enfants à la curiosité insatiable. Pas les enfants Kinder, impeccables et flippants comme ceux du village des damnés, non ; eux, ce sont les enfants terribles qui cherchent, touchent, creusent et dénichent les trucs le plus improbables les yeux grands ouverts et un sourire amusé au coin des lèvres. Des enfants qui grattent leurs croûtes après une chute et qui la mange devant le regard effaré des adultes. Des enfants qui s’amusent à casser les conventions et la bienséance sans méchanceté, ni provocation. Juste parce qu’ils et elles sont restés des garçons sauvages attirés par l’étrange et que la norme les emmerde. 

L’équipe des Hallus a choisi. Elle a choisi de mobiliser son intelligence sur des conneries plutôt que de mobiliser sa connerie sur des choses intelligentes (dixit Les Shadoks). C’est ce qui fait d’eux des grands enfants.

Cette année, fut sans doute l’une des plus complexes pour le festival. Et ben, ils ont jamais baissé les bras. Au contraire. Ils ont retroussé les manches ; ils se sont adaptés (consignes sanitaires respectées nickel chrome) et ils ont proposé un festival au mois de septembre. Le meilleur festival possible avec comme seul but de nous montrer du Cinéma. Des films sur grand écran quoi. Le public a suivi. Comme moi, il avait besoin de voir du sale, du sexe, du sang, de l’humour, du bizarre, des œuvres cathartiques, folles, méchantes et méchamment drôles. Il avait besoin de retrouver le plaisir étrange des images transgressives. Et ce fut une réussite. Alors merci aux Hallus.

Le festival Hallucinations Collectives 2020, la treizième édition, est maintenant terminé. Treize films avec le masque sur le nez plus tard, je reviens rassasié et heureux.

J’arrive le jeudi. J’ai loupé Color out of Space de Richard Stanley mais il sort cette semaine sur Amazon Prime. J’ai également loupé The Nightingale de Jennifer Kent (Réalisatrice de Master Babadook) qui n’a pour l’instant malheureusement, aucune date de sortie prévue en France. Pourtant, partout où il passe le film marque les esprits. Aux Hallus, c’était une première française et le jury du festival lui accordé son grand prix. Dommage pour moi.

1825, au coeur de la colonisation de l’Australie. Après le massacre de toute sa famille, une jeune irlandaise traverse les terres tasmaniennes et rumine sa vengeance contre les soldats britanniques responsables de son malheur.

Première projection – Théma Vaudou : Walking with the zombies

Sugar Hill
de Paul Maslansky – 1974

Après l’assassinat de son petit ami par les hommes de main du caïd local, Diana « Sugar Hill » pactise avec Baron Samedi, le seigneur des morts, en échange d’une armée de zombies pour accomplir sa vengeance.

S’inscrivant typiquement dans le courant de la blacksploitation des années 70, Sugar Hill se démarque du tout venant par son parti pris ouvertement fantastique plutôt réjouissant. Pour venger son mari Sugar Hill fait appel au Baron Samedi. Les Barons sont les divinités de la mort dans le vaudou Haïtien et le Baron Samedi serait à la tête de la famille Ghede ; une famille d’esprits macabres et grivois. D’ailleurs le Baron pour accepter le contrat avec Sugar Hill lui demandera d’ailleurs autre chose que son âme. Qu’est ce qu’il pourrait bien faire de son âme !? Le film déroule une ambiance fantastique et mystique assez chouette, rythmée par le titre funk supernatural voodoo woman et une bande son excellente. Il est interprétée par la très… très belle Marki Bey parfaite en héroïne badass, sexy et vénère, par Don Pedro Colley qui interprète un Baron Samedi cool et machiavélique et Zara Frances Cully qui joue Mama, maîtresse qui communique avec les esprits et qui aidera Sugar Hill à réveiller les morts. Sugar Hill revient au mythe original du Zombie puisant sa source dans le vaudou Haïtien mais il garde une identité sociale liée à l’esprit de la blacksploitation des plus amusantes.

Le festival diffusait, d’ailleurs, dans la thématique : Vaudou – Walking with the zombies, le film White Zombie de Victor Halperin considéré comme la matrice du mythe cinématographique du Zombie. Le film date de 1932 et il est interprété par le grand Bela Lugosi. Il fait partie de la liste des films que j’ai manqué mais que je rattraperais dès que possible.

-Aparté-
Récemment le film Zombi Child de Bertrand Bonello, sorti en 2019 rend un bel hommage au mythe du Zombi Haïtien. Il revient aux origines historiques et nous gratifie d’une séquence avec le Baron Samedi assez terrifiante. Mise à part la séquence vaudou finale et les flashbacks historiques, la partie parisienne est assez faible, voire carrément emmerdante mais le film vaut également le détour.

Bref avec sa bande son cool, son ambiance fantastique soignée et son héroïne noire charismatique Sugar Hill m’a plongé direct dans l’ambiance du festival. 

J’étais prêt à recevoir les suivants !

Théma – Cabinet de Curiosités

Pyromaniac (Don’t go in the house)
de Joseph Ellison – 1979

Vivant dans l’immense demeure familiale en compagnie d’une mère à qu’il se dévoue corps et âme, Donny a une vie sociale pour le moins limitée et un travail où il ne fait pas l’unanimité. Il a aussi quelques sombres pensées, et une fascination pour les flammes.

Pur film d’exploitation qui joue de ces artifices surannés comme une vieille tapineuse dans sa première moitié et retombe dans un classicisme frustrant dans la deuxième, Don’t Go in the house m’a rappelé les grandes heures du cinéma d’horreurs VHS des années 80 ; celles des films de deuxième partie de soirée. La mise en scène et l’interprétation s’égare dans le malsain, le torturé, s’essaye au choquant. La demeure, sorte de château hanté contemporain, la folie morbide du personnage, les meurtres au lance-flammes, la tentative pathétique de récréer un lien avec ses victimes font un film à l’ambiance agréablement malsaine. Oui, c’est vrai c’est bizarre mais c’est ce qu’on aime. En soi, Pyromaniac reste donc un film sale qui fut d’ailleurs classé parmi les fameuses vidéos Nasty en Angleterre dans les années 80*.

*Dans  les années 70, avec l’arrivée des premiers magnétoscopes domestiques il n’y avait aucune loi pour réglementer le contenu vidéo. Des petits éditeurs en ont profité pour s’engouffrer dans la brèche en proposant des films d’horreur à petit budget. Certains de ses films avaient été approuvés par le comité de censure (le BBFC) mais d’autres, non. Ceux-ci étaient donc interdits sur le territoire. Le DPP (Director of Public Prosecutions), c’est à dire le bureau des poursuites publiques pouvait engager des poursuites contre tous les détaillants du film. Et en vertu de la loi, la police pouvait débarquer dans les magasins d’éditeurs pour saisir les cassettes. Evidemment le procédé s’avérait plus ou moins arbitraires suivant l’implication des corps de polices. A la demande des éditeurs vidéo le DPP a donc édité une liste de films édités directement en cassette VHS au contenu jugé obscène. Cette liste contenait les films poursuivis, non-poursuivis (certains ont pu obtenir des autorisations en effectuant des coupes plus ou moins importantes), les vidéo nasties (pas de sorties en Angleterre, ou des sorties avec des scènes coupées). Par exemple le Zombie (Dawn of the dead) de George Romero a connu plusieurs versions avec des coupes importantes avant de sortir dans sa version complète en 2003. Les copies intégrales des films sur la liste sont devenues un graal pour pas mal de passionnés qui ont permis d’exhumer pas mal de ces trésors au cours du temps. Certains de ces films sont sortis chez nous dans la mythique collection René Château vidéo que les plus vieux d’entre nous connaissent bien.

La liste de tous les films sur la page Wikipédia

Avant-Première

The Wave
de Gilles Klabin – 2019

Franck mène une vie bien rangée d’avocats d’affaires avec femmes et typothèque. La vieille d’une réunion décisive, il s’autorise une petite folie et rejoint son collègue dans une beuverie nocturne. Il absorbe un hallucinogène qui va lui pourrir la vie. Ou l’améliorer selon la perspective.

The Wave possède un rythme soutenu et une mise en scène visuellement hallucinante qui mérite d’être vue sur Grand Ecran tant la perception altérée et les effets hallucinogènes sont puissamment retranscrits. Au delà, les personnages unidimensionnels et une histoire de rédemption somme toute assez classique empêchent le film de vraiment décoller pour en faire une série B totalement réjouissante. The wave reste original dans son approche visuelle, un peu moins sur le fond avec son histoire gentiment moraliste mais peu aisément se caler lors d’un samedi soir hésitant entre blockbuster sans âme et errance « netflixienne ».

Théma – Hong Kong

Story of Ricky (Ricky-Oh)
de Lam Nai Choi – 1991

Incarcéré dans un prison privatisée pour avoir vengé la mort de sa bien-aimée, Ricky, un artiste martial à la force herculéenne, se voit contraint d’affronter les gangs et les gardiens corrompus de l’établissement.

Story of Ricky est un film dingue. Quelque part entre le nanar pur jus, le film OVNI et le gore réjouissant. Il aligne des scènes toutes plus folles les unes que les autres, repousse les limites du bon goût et patauge joyeusement dans la tripaille des méchants que Ricky explose à coups de poings dévastateurs. Story of Ricky, c’est du bonheur sur pellicule. Des personnages azimutés, le sous-directeur qui cache des pastilles de menthes dans son oeil de verre, les boss des différents quartiers de la prison, le directeur de la prison et son fils débile et puis Ricky bien sûr. Le maître des arts martiaux à l’âme aussi pure qu’un ciel d’été. Ce sera le seul film en premier rôle de l’acteur Siu-Wong Fan alors âgé de 17 ans. Le seul qui le rendra célèbre. Story of Ricky c’est, bien sûr, l’un des nombreux graals des cinéphiles déviants. Et pour l’apprécier à sa juste valeur, il faut le voir à plusieurs. Le grand écran lui redonne toute sa saveur régressive. Profitez de son humour à contretemps et de sa violence cartoonesque (Rentrez chez vous Itchy et Scratchy, on a trouvé votre maître) dans une salle remplie est un des meilleurs moments que j’ai vécu au festival cette année. C’est ce qui me fait apprécier avec plus d’amour encore le festival Hallucinations Collectives. D’autant que le film était projeté dans une copie magnifique.

Découvrir ou redécouvrir des films qui ont fait partie, ou qui vous semble devoir faire partie de votre parcours cinématographique fait partie de ces moments qui ne s’achètent pas… En fait, si, mais c’est pas cher payer pour un tel bonheur. La copie projetée était de toute beauté. 

Et comme le dit le trailer, j’espère que :

« One day, this story could be yours ! »

Théma – Hong Kong

Full Alert
de Ringo Lam – 1997

Un cadavre est retrouvé dans une citerne. Le coupable est arrêté et avoue avoir agi en situation de légitime défense. Son arrestation ne semble être que la première étape d’un plan d’une bien plus grande envergure.

Polar sombre comme la matière noire de l’univers. Un trou noir qui avale une région entière dans sa future rétrocession. Un polar extrême et sans concession qui n’a rien à envier dans sa noirceur à Heat de Michael Mann (1996) auquel il a souvent été comparé. Le policier et le criminel, qui s’affrontent dans cette course poursuite jusqu’au boutiste, explosent tous les codes de l’ordre, de la morale, du bien et du mal pour nous entraîner dans les zones les plus ténébreuses de l’âme humaine. L’inspecteur, magistralement interprété par Ching Man Lau, est prêt à tout sacrifier, mais vraiment tout pour remplir sa mission. Mais est-ce vraiment ce qu’il recherche ? L’ambiance urbaine est incroyablement réaliste et poisseuse. Des gens partout, des mises en danger perpétuelles… Mais comment ont-ils tourné certaines scènes hallucinantes. La fin nous laisse exsangues.
Une pépite du regretté Ringo Lam parmi ce que le cinéma de Hong Kong pré-rétrocession nous a offert de meilleur.

Théma – Cabinet de Curiosités

Invitation à Robert Morgan

J’avais entendu parler du bonhomme. Plouf, plouf… Je ne connaissais pas jusqu’à ce que j’apprenne que le festival lançait un crowdfunding pour faire réaliser leur trailer de présentation par Robert Morgan. J’attendais donc cette séance avec impatience.

La projection d’une dizaine de ses courts métrages est un choc sans commune mesure. Bordel de merde ! Qu’est-ce que c’est ? Qui c’est ce fou ? J’ai ressenti immédiatement l’excitation d’être tombé sur l’un des trucs les plus barrés que j’avais vu depuis pas mal de temps. Robert Morgan est un réalisateur indépendant anglais qui déploie depuis plus de vingt ans un univers visuel dingue.

Robert Morgan, est un enfant qui a pris conscience de la mort et compris l’insignifiance de la vie beaucoup trop tôt. Mais plutôt que de s’enfoncer dans un fatalisme inéluctable et chiant en pondant des oeuvres dépressives avec une certaine morgue, il s’en amuse. Il s’en amuse comme un sale gosse poussé par une curiosité insatiable. Attiré par l’altérité, la détérioration physique mentale, les univers sombres, les mutations physiques. L’univers de Robert Morgan, c’est Disney après l’apocalypse. L’émerveillement et le regard de l’enfant qui supplante et surpasse toute la noirceur du monde des adultes et qui s’autorise encore à rêver, s’amuser, aimer dans un monde en déliquescence violent et douloureux. Les films de Robert Morgan sont des morceaux de résilience qui dégagent une sensibilité à fleur de peau et un romantisme noir exacerbé qui vous explosent à la gueule comme un bouquet de fleurs du mal.

Robert Morgan s’adresse aux adultes en façonnant un univers joyeusement sombre et terriblement réjouissant. Il fait naître une étrange lumière de sa vision iconoclaste en convoquant des êtres monstres inquiétants, dérangeants et terriblement attirants. Son travail est à découvrir absolument. 

Sur sa chaîne You Tube par exemple.

A voir absolument. Bobby-Yeah, The man in the lower left hand corner of the photograph, Belial’s Dream, Tomorrow i will be dirt, The Separation

Robert Morgan attend le feu vert, les financements, pour se lancer dans la réalisation de son premier long-métrage. Avant la séance, il nous a d’ailleurs gratifié d’une petite vidéo très drôle de lui en vieillard attendant, attendant. 

Enfin, le trailer qui il a réalisé pour Hallucinations Collectives ; que vous ne pourrez découvrir qu’en venant aux Hallus ; est une incarnation parfaite de l’esprit du festival.
Et Robert Morgan est des plus belles découvertes que j’ai pu faire cette année

To Be continued

Tony Gagniarre
Septembre 2020