« Un monde renversé où la domination féminine fait rage ».
Voici le descriptif de Renversante, un texte de Florence Hinckel mis en scène par Léna Bréban. Nominée aux Molières pour la pièce Verte [d’après Marie Desplechin], la créatrice s’empare cette fois de la question de l’égalité femmes-hommes.
Pour nourrir sa nouvelle pièce, elle lance un appel à témoignages sur la question du genre. Nous voulions relayer sa demande et nous en avons profité pour lui poser quelques questions.



Léna Bréban, metteure en scène de Renversante



En préparant ton interview, j’ai tapé l’intitulé de ton métier dans un document texte. Il a refusé de garder le nom « metteure » en scène, comme s’il y avait une erreur d’orthographe, ça doit te parler…
Tu écris une pièce qui dévoile un monde où le féminin l’emporte sur le masculin « depuis la nuit des temps » ! Parles-nous de Renversante et de ce qui t’as amenée à vouloir la mettre en scène ! 

Oui, ce truc sur menteuse en scène dans l’ordi ça me rend dingue.
En fait, depuis l’enfance, je ne comprends pas ce monde patriarcal. C’est pour ça que j’ai eu envie de monter Renversante, j’avais envie d’ouvrir la discussion avec les petites filles et surtout les petits garçons sur ce thème de l’égalité. Je suis mère d’un garçon de 9 ans et j’essaie vraiment de l’élever dans cette notion.
Quand je travaillais à La Colline [*Théatre National] comme actrice, je trouvais ça très troublant les présentations de saison avec une seule femme metteuse en scène sur les 12 projets de l’année. Pareil pour Cannes. C’est juste insupportable… Mais je suis la première à me sentir illégitime quand on me propose des choses. À penser parfois que je ne suis pas capable. Donc maintenant je me force à ne pas me poser cette question. À me dire, on verra bien.


Si en 2012, Thierry Fremaux [*délégué artistique du Festival de Cannes] avait présenté 22 films réalisés par des femmes, tout le monde aurait crié au scandale. Et d’oser justifier le truc en disant  que c’est un hasard, je trouve ça carrément minable.


Léna Bréban, sur les inégalités femmes-hommes



Par exemple, je vais faire une mise en scène à la Comédie Française, et la façon dont Eric Ruf [*administrateur général de la Comédie Française] me l’a proposé sera inoubliable pour moi. 
Il faut des hommes courageux et militants pour faire bouger les lignes.
Eric Ruf en plus d’être un grand artiste et un très bon directeur de troupe, est de ceux là.
Il faut des hommes et des femmes qui soutiennent la cause des femmes.
Le père de mon fils est réalisateur de documentaire et il s’occupe beaucoup des sujets Dominants/Dominés.
C’était un sujet de débat entre nous. Je lui disais :
– Mais pourquoi tu fais pas un film sur les femmes ? C’est les premières dominées du monde entier. Il n’y pas plus exploitées !  
Mais il avait d’autres aspirations et il me répondait : – Fais le toi…
Alors voilà je le fais. Renversante c’est mon documentaire sur les femmes (hihihi)
Mais je suis très sensible au fait qu’un homme prenne la parole pour soutenir l’avancée de l’égalité. C’est indéniablement le cas d’Eric Ruf ou de Nicolas Royer [*directeur de la scène nationale de l’Espace des Arts] ou d’Adrien De Van [*co-directeur du théâtre paris-Villette] . À un moment, ces hommes en place, qui ont du pouvoir, ont décidé de me donner les rennes. De me soutenir. De mettre une femme en avant, c’est aussi un choix politique . 
Moi clairement si je n’avais pas su adolescente que Ariane Mnouchkine dirigeait un lieu et mettait en scène, je ne suis pas sûre que je me serai projetée…


* Qu’est ce que c’est pour vous être un homme ?

* Qu’est ce que c’est pour vous être une femme ?

* À quelle occasion vous êtes vous déjà dis : Mince (ou merde des fois on est très énervé), j’aurai préféré être une femme (ou un homme) ?

* À quelle occasion vous êtes-vous dit : Oh punaise je suis bien content(e) d’être un homme (ou une femme) ?

* Avez-vous conscience des inégalités Femme-Homme qui perdurent, et si oui dans quel domaine (personnel, professionnel) ?


Extrait de l’appel à témoignages de Léna Bréban sur les réseaux sociaux pour la pièce Renversante



Pour soutenir ta démarche de création, tu as souhaité faire cet appel à témoignages. Pourquoi c’est important pour toi ? Comment vas-tu utiliser cette matière ? Recherches-tu une parole particulière ou tu veux vraiment te laisser surprendre ?

J’ai souhaité faire appel aux témoignages de gens pour la dernière scène de la pièce. J’étais juste curieuse d’entendre des histoires de vie. De voir si les gens avaient vécu les choses comme moi ou pas du tout. Et puis j’avais très envie d’entendre le vécu des hommes aussi. De savoir si leur appartenance au sexe masculin leur pesait parfois. 
J’avais aussi l’intuition que c’était intéressant d’avoir des témoignages de générations différentes. J’ai eu des réponses de petites filles de 11 ans et de femmes de 78 ans… Et ça donne pas mal d’espoir en fait !
Et puis j’ai été touchée par les réponses des hommes. Il a fallu que j’insiste pour avoir leur témoignage. Les femmes avaient besoin de se livrer, elles en avaient souvent gros sur la patate. Les hommes, il a fallu pratiquement les menacer pour qu’ils me répondent (je plaisante hein).

C’est intéressant que l’injustice ne soit pas insupportable pour les deux sexes. C’est le monde des privilèges. Je suis toujours surprise par l’endormissement que provoque le privilège . Donc je voulais comprendre comment ça fonctionnait, un peu comme faire sa propre étude sociologique.
Et puis j’adore mélanger le vrai et le faux et souvent les gens parlent bien d’eux même. C’est souvent assez émouvant parce que très personnel.


Léna Bréban, sur les témoignages qu’elle a reçu pour la création de sa pièce Renversante


Tu précises, dans ton appel à témoignages que l’humour sera au rendez-vous dans la pièce. C’est un outil beaucoup utilisé par les minorités aujourd’hui pour s’engager ! C’est en ce sens que tu l’as choisi ? 

Oui l’humour est pour moi très important. Au théâtre particulièrement je me méfie du pompeux. Je trouve que les messages passent toujours mieux en se marrant. Mais c’est un positionnement dans la vie aussi.
Cela dit Florence Hinckel en parle très bien quand elle fait dire au père [dans la pièce] qu’on ne peut pas tout prendre avec humour et que parfois on doit devenir virulent. Après tout la révolution ce n’était pas le monde des bisounours et des têtes sont tombées.
Je prône l’humour au maximum mais parfois il faut savoir être ferme, hausser le ton.

« Féministe », ça sonne parfois comme un gros mot, et parler du genre autour de nous, c’est encore un tabou parfois. Un conseil à donner à celles et ceux qui se taisent pour ne pas faire de vagues ? 

Féministe c’est clairement un gros mot pour certain.
Moi j’essaye toujours de rassurer mon interlocuteur ou mon interlocutrice. S’ils comprennent et adhèrent à mes idées mais qu’ils craignent le mot, j’essaye de ne pas m’énerver et de faire preuve de pédagogie. Mais si tu me demandes de te répondre : Oui, je suis clairement féministe. Tant que l’égalité Femme-Homme ne sera pas parfaite, je le serai.
Et notamment sur les salaires, la domination passant principalement par l’argent. C’est un des domaines qui me rend très virulente. 
Un jour je me suis rendue compte sur un spectacle que j’étais moins bien payée que mon partenaire masculin qui avait exactement le même parcours que moi puisqu’issu de la même promotion du conservatoire, et l’administratrice était une femme. À l’époque je n’avais pas assez de cran pour aller l’affronter, j’étais une toute jeune actrice.
Ca m’avait choquée et surtout, profondément blessée…
Mon conseil c’est de faire réaliser aux gens dans quoi ils s’embarquent. Aujourd’hui cette femme aurait peur d’être taxée de sexiste, et si je lui demandais des comptes, elle serait obligée de se justifier ou de m’augmenter. Je pense qu’on est dans un moment où on peut prendre la parole sans trembler.

 L’artiste se doit-il de poser un regard sur la société qui l’entoure ? Quelle est sa place dans celle-ci selon toi ? 

En général l’artiste a un regard. Du coup il éclaire telle ou telle chose à laquelle il est sensible. Moi je me rends compte après coup de pourquoi je monte telle ou telle pièce. Pour Verte, je voulais parler du rapport à la mère (à la mienne j’imagine).
Mais pour Renversante, ça vient d’une conversation sur le terme d’autrice que j’ai eue un soir avec mon producteur et mon collaborateur artistique. J’étais au milieu de ces deux hommes, il y avait une autre femme qui visiblement n’en pensait rien… Elle se taisait comme si elle n’était pas concernée. Ou comme si elle avait peur d’être jugée ou défaite de sa séduction si elle était en désaccord avec les hommes. Je ne ressens pas les choses comme cela.
Et moi je ne comprenais pas en quoi dire «  autrice »  était si déplaisant pour ces deux hommes. On a commencé à s’engueuler. Ils m’ont très justement trouvée agressive. 
Alors, quand j’ai lu Renversante, ça m’a fait rire, c’était exactement ce que ce soir là j’aurais aimé être capable de leur faire comprendre. D’ailleurs mon producteur a lu le texte de Florence Hinckel et m’a tout de suite dit oui.
Comme quoi, finalement, s’engueuler et débattre ce n’est pas toujours vain ;-).


Renversante, ouvrage de Florence Hinckel à l’origine de la pièce de Léna Bréban



Quand pourra-t-on voir ta pièce et où ? Donnes-nous ton actu !

La pièce sera créée à l’Espace des Arts en janvier 2021.
En ce moment je prépare deux autres mises en scènes : Comme il vous plaira de Shakespeare au théâtre de La Pépinière, avec entre autre Barbara Schulz ; et une adaptation de Sans Famille pour la Comédie Française.
Et Verte d’après Marie Desplechin est toujours en tournée dans toute la france !

Répondez à l’appel de Léna Bréban en la contactant sur son facebook ! Pour en savoir plus sur elle, c’est par ici.