Lorsque Lapéniche nous a proposé la co-organisation de ce débat, on a foncé.
Mais pas tête baissée.
On a réfléchit au sujet, essayé d’éviter certains écueils, tenté d’imaginer le meilleur dispositif pour qu’un contenu de qualité émerge. On a pris la décision de changer l’intitulé qui avait été annoncé à l’origine (*Quelle place pour les femmes dans le spectacle vivant ?) et on a pris contact avec certaines participantes pour préparer tout ça.
On ne s’imaginait pas une seconde qu’à l’issue du débat, des témoignages questionnant sa nécessité surgiraient. Ou qu’on nous expliquerait que cela ne constituait pas en soi un débat.
Et bien rien que pour ça, il me semble que c’était une belle idée de le proposer ! Quand on commence à se sentir gêné.e, irrité.e ou à refuser le dialogue autour d’un thème précis, ça sent pas très bon…
On nous a aussi fait part de la difficulté pour certain.e.s des participant.e.s de prendre la parole. D’en placer une. D’exprimer un point de vue divergeant de celles ou ceux qui maitrisent le sujet et ont l’habitude de s’exprimer en public.
Tant mieux, c’est tout l’enjeu et le combat d’ODIL à travers ces débats.
Offrir des espaces et des tentatives pour qu’on se sentent tous concernés par des sujets NÉCESSAIRES. Proposer des moments pour qu’on s’entraîne collectivement à échanger et à se saisir des occasions de verbaliser tout haut ce qu’on pense tout bas. Prendre le risque de dire des conneries parce qu’on favorise une écoute bienveillante…
Nous ne sommes pas égaux face ce genre d’exercice, et chez ODIL, on pense que le monde se porterait mieux si on essayait de ne pas se prendre trop au sérieux et de partager nos réflexions. Pour avancer dans un sens commun.
Peut-être que toutes et tous n’ont pas pu s’exprimer, mais chacun en a eu la possibilité…
Le moment aura eu le mérite d’exister, avec toutes ses imperfections et ses maladresses, avec ses discours engagés qu’on entend peu publiquement dans nos contrées. Mais aussi avec toutes ses questions qui restent en suspens et qui nous ont donné envie de poursuivre les discussions les jours qui ont suivi.

Notre débat à LaPéniche de Chalon-sur Saône

Pour compléter le débat, on vous propose deux interviews. Celle de Sophie Brignoli, journaliste chez Sparse et salariée de la Péniche Cancale à Dijon, parce qu’on l’avait invitée à participer au débat et qu’on a pas eu le temps de lui faire une place. Puis une interview d’Oxyput Cie qui a fait une apparition pendant l’enregistrement et qui a suscité des réactions.

Interview Sophie Brignoli du magazine SPARSE

On nous a dit après l’enregistrement que ce débat n’avait pas lieu d’être. Tu travailles à Lapéniche Cancale, est ce que ton expérience dans la « Culture » t’amène à constater des inégalité hommes-femmes concrètes ?  

De mon expérience, je n’ai pas constaté d’inégalités en terme de salaires par exemple, mais je n’ai que peu de points de comparaison avec d’autres acteurs culturels effectuant le même travail, qui seraient des hommes. Dans le domaine de la communication culturelle, il y a beaucoup de femmes qui occupent ces postes, et assez peu d’hommes finalement. Par contre, en terme de représentation il y a un vrai déséquilibre entre les sexes selon les métiers. Il y a très peu d’artistes femmes (musiciens et DJs), très peu de techniciennes et régisseurs et peu de femmes à la tête des structures (la Péniche Cancale comptant parmi les exceptions avec une directrice à la tête de la SCIC). D’un point de vue plus « pratique », je constate que lorsque je suis responsable d’une soirée et de sa supervision, il m’est parfois plus difficile d’incarner l’autorité auprès d’un public masculin que mes collègues hommes, j’ai l’impression d’être moins prise au sérieux. 

Ton collègue Antoine de chez Sparse a souligné la question de la discrimination positive à l’égard des femmes, dans le choix des sujets retenus dans le magazine. Tu en penses quoi ? 

Je pense que c’est une bonne chose. Ces mesures peuvent aider les femmes à sortir de l’ombre. Tous, hommes et femmes, nous sommes pétris de préjugés et élevés dans un monde très genré qui met en scène essentiellement des hommes et cantonne les femmes à des rôles bien précis. Pour faire évoluer la société sur le sujet il me semble primordial de tenter d’abord de rééquilibrer la donne en terme de représentation et donc de passer par la discrimination positive. C’est en normalisant la présence des femmes dans toutes les sphères de la société que les garçons et filles de demain pourront imaginer faire le travail qu’ils souhaitent, pas celui imposé par leur genre.  

Aftermovie 2019 – Dancing People Don’t Die – By Dahiro

Dans les faits, vous êtes peu nombreuses à écrire dans la revue, pourquoi ? 

C’est vrai, au sein de Sparse il y a très peu de rédactrices, de dessinatrices, de photographes… La raison ? Elles sont moins nombreuses à postuler, à rejoindre l’aventure, à se porter volontaire. Il n’y a pas de discrimination, tout le monde peut rejoindre l’équipe et proposer un article, elles sont simplement beaucoup moins nombreuses à le faire. Après il s’agirait de creuser… Est-ce que cela à avoir avec l’ambiance très masculine du comité de rédaction ? Est-ce que le magazine, parce qu’il est écrit surtout par des hommes, suscite plus de vocation au sein de la gente masculine ? Je n’ai pas de réponses à te faire mais je pense que nous n’avons pas toutes les clés de compréhension, et que nous reproduisons aussi les modèles qu’on nous a inculqués…


Tu considères que ce débat appartient aux militantes, qui verbalisent facilement les points de lutte à visibiliser, uniquement aux femmes ou il appartient à toute(s) ?

 Le débat appartient à tous, ce serait super de pouvoir intéresser tout le monde à la question, ce serait un signe que la question traverse la société toute entière et le premier pas selon moi, vers une réelle évolution des mentalités.

 
On voulait te faire participer à ce débat et on a manqué de temps. Encore désolés ! Sur quel point aurais-tu eu envie d’intervenir précisément ? 

Difficile de répondre à cette question, à froid. Beaucoup de sujets se sont croisés lors du débat….En tout cas je trouve que l’avis de Perrine/La Fraîcheur, qui parlait de discriminations invisibles / silencieuses en expliquant que, même si on n’avait pas l’impression d’être discriminées, on l’était sans doute sans le savoir, parce qu’on ne parle que très peu des salaires par exemple, parce qu’on est habituées à entendre des blagues ou remarques sexistes… Cette idée je trouve, aide à comprendre l’une des raisons de ces inégalités : c’est d’abord parce qu’on ne s’en rend pas compte, qu’on trouve ça normal, qu’elles perdurent. Beaucoup de femmes n’ont pas conscience de ce qu’elles ont à défendre. 

Interview Oxyput Compagnie | Marine Cheravola [porteuse du projet]

Marina Cheravola à Dancing People Don’t Die
Parlez-nous de la Compagnie ! Quelle est vraiment l’intention qui se cache derrière les «attentats sonores » ?

L’occiput est le premier os du crâne et accueille en son sein le cerveau primitif reptilien, qui gère les mouvements volontaires et involontaires du corps et de l’esprit. Oxyput est une compagnie de danse urbaine contemporaine créée sur Avignon en 2012 par Marine Cheravola et joue à diffuser le mouvement par le mouvement.
Par le biais de performances, spectacles et Dancefloorz ouverts à tous, Oxyput fait migrer la danse des salles sombres vers les espaces publics baignés de lumière crue pour partager la folle expérience du corps mouvant avec ses contemporains.

1518, à la mi-juillet, dans les rues de Strasbourg ; bourg alors du premier Reich. Un beau matin, une certaine Frau Troffea se met soudainement à danser. Sans explication. Une danse frénétique et soutenue. En moins d’un mois, c’est la pandémie, comme dans une soirée qui dérape, une foule de maintenant 400 personnes en commotion ne peut plus s’arrêter de danser. Cette épidémie de danse, porte un nom : La Manie Dansante.                                                                                                                                                                                                                                                                         

Nos attentats s’en inspirent.
« N’entrez jamais sur scène sans vos animaux » affirmait un célèbre metteur en scène. Nous dirions plutôt « Ne sortez jamais sans vos animaux ».
Les attentats dancefloor partent d’une volonté de créer un espace-temps où les corps se libèrent et connectent à leur bestiole, de manière spontanée et horizontale. Ces attentats prennent place dans les rues marchandes, les centres commerciaux, en terrasse, au cœur des files d’attente, partout où les corps de nos contemporains nous paraissent verrouillés. Distiller des corps libres et pétillants dans des espaces mornes et normalisés est une forme de résistance au raz-de-marée liberticide.      

Pendant la prise de parole lors du débat, vous avez surpris spectateurs et invités par votre performance ! Comment expliquez-vous ce choix ? Le but était-il de surprendre ? De vous exprimer?              

Nous pensons que les actes comptent et donnent parfois plus de solutions que de longues pérégrinations mentales ou verbiages circonvolutifs. Cela n’enlève rien à la puissance des mots mais nous trouvons qu’il existe un réel déséquilibre sur l’importance que nous donnons à la parole. Porter des corps de femmes libres dans le cadre d’un débat autour de la place des femmes (et des héritages indirects du corset) nous a paru comme un acte complémentaire au débat que vous proposiez . 
Nous voulions également rappeler que ceux qui dansent ne meurent pas.

Comment choisissez-vous ce mode d’action en amont dans l’équipe ? Comment vous vous y préparez ?     

Cette forme est nouvelle chez Oxyput, nous n’avons pas encore décidé de tout !
Sur cet évènement précis, nous avons travaillé en amont sur 2 modules avec quelques danseurs amateurs prêts à tenter l’expérience en espaces publics, et avons collectivement et spontanément trouvé intéressant de faire une intervention pendant le débat.

Comment avez-vous vécu l’expérience ? 

Nous avons senti La Fraicheur réticente et choquée, le public plutôt surpris mais accueillant, et pensons qu’il aurait été juste de prendre la parole en public pour expliquer ce que nous défendions à travers cet acte.

Les invitées du débat
Sandra Gaudillère et Émilie Stolarek du Planning Familial 71 [ https://bit.ly/2W55tbx ]
Céline Gouverne de l’association Emmetrop [http://www.emmetrop.fr]
Perrine aka La Fraîcheur [son soundcloud ici :
https://soundcloud.com/la-fraicheur ]
Parmi les intervenants, on salue Sophie Bellamy de LaPéniche, Sparse, La Péniche Cancale.

Débat animé par Laëtitia Déchambenoit, organisé pour le festival Dancing People Don’t Die à LaPéniche
Régie technique : Florent Rhéty
Préparation du débat : Maëlle Ghulam Nabi et Laëtitia Déchambenoit

Crédit photo : Issu de la pièce King Kong Theorie mise en scène par Vanessa Lare