Aujourd’hui c’est le 1er Mai.
Mamie m’a dit que c’est la fête du muguet et qu’elle est triste parce qu’elle ne pourra pas sortir en cueillir un brin. Mon pote Vincent lui, il est plutôt content parce que tous les ans, son anniversaire tombe un jour férié. Il est né pour la fête des glandeurs, comme il dit. D’habitude j’entends surtout que le 1er mai c’est la Fête du Travail. Qu’est-ce-que ça veut dire ? Il faudrait fêter le fait de travailler chaque jour pour gagner sa croûte ? Mettre une croix dans son calendrier pour avoir gagné un jour de repos ? Pour certains le premier mai, c’est synonyme de faire le pont, lancer la saison des barbecues et rassembler une famille qui n’a pas d’excuse, puisque ce jour est chômé. Mais pour d’autres, c’est jour de manif’. Jour de revendications. Et c’est pas la fête du travail, mais la fête des travailleur·ses, nuance. Bon, mais ça vient d’où le 1er mai ? Petit point histoire pour se souvenir d’où viennent les journées de boulot de 8h…

1886, le massacre de Haymarket square, chapitre fondateur dans l’histoire des travailleurs du monde entier

On est à la fin du 19e siècle, aux Etats-Unis.  
Le 6 décembre 1865 est adopté le XIIIe amendement à la constitution américaine qui met fin à l’esclavage : « Ni esclavage, ni aucune forme de servitude involontaire ne pourront exister aux États-Unis, ni en aucun lieu soumis à leur juridiction », énonce-t-il.
Pas de rapport à priori avec le 1er mai, mais ça fait pas de mal de refaire le fil. Les esclaves sont donc libérés depuis une vingtaine d’années quand le 1er mai 1886, 400 000 ouvriers s’engagent dans une lutte sociale aux Etats-Unis.
Les ouvriers réclament la journée de huit heures et organisent une grève générale. À Chicago, à la fin du rassemblement, la police charge la foule qui se disperse, faisant un mort et une dizaine de blessés. Le militant anarchiste August Spies appelle à un rassemblement contre les violences policières trois jours plus tard, le 4 mai, à Haymarket Square.
Ce jour là, un bâton de dynamite est lancée contre la police en marge du meeting ouvrier. Des morts, des blessés. On a le compte exact pour la police, pas pour les ouvriers… La chasse aux méchants travailleurs en grève est lancée, 7 manifestants anarchistes, militants syndicalistes sont arrêtés : August SpiesGeorge EngelAdolph FischerLouis LinggMichael SchwabOscar Neebe et Samuel Fielden. Un huitième anarchiste, Albert Parsons, se livre de lui-même…
Lors du procès, le procureur déclare : « ils ont été choisis parce qu’ils sont des meneurs. Ils ne sont pas plus coupables que les milliers de personnes qui les suivent. Condamnez ces hommes, faites d’eux un exemple, faites-les pendre ».
Ils sont assassinés, pendus pour l’exemple donc. Ils ne sont pas punis pour leurs actes, ils sont morts pour leurs idées.
On parle alors du Black Friday. Quand tu penses qu’aujourd’hui le Black Friday c’est la fête internationale du porte-monnaie et de la sur-consommation, tu comprends que les gourous du marketing ne rougissent de rien…

Affrontements entre forces de l’ordre et militants ouvriers à Haymarket Square, Chicago, 1886

Années 1890, naissance d’une journée mondiale de lutte des travailleurs

En 1889, en hommage aux Martyrs de Chicago – qui seront réhabilités quelques années plus tard – et par solidarité avec le monde ouvrier qui aspirent à de meilleures conditions de travail, le 1er mai devient un jour international de lutte. À partir de cette date, la grève générale de tous les travailleurs se propage dans le monde entier. Pour l’abolition du capitalisme, pour la réduction du temps de travail. En France, on observe les débuts de la Journée de la lutte pour les 8 heures ! On va alors revendiquer qu’on a envie de vivre en dehors du boulot….
Ces grèves seront longtemps violemment réprimées, considérées illégales.
Il faudra attendre le 23 mai 1919, à la fin de la guerre, pour que les ouvriers obtiennent officiellement la journée de 8 heures. Et le 1er mai sera désormais chômé.
C’est un peu plus compliqué dans l’histoire locale du Bassin Minier. La chasse aux anarchistes a laissé des traces. Et on ne verra des signes de la grève générale du 1er mai qu’à partir de… Aller donc regarder demain l’article de Caroline sur ODIL :-).

Photos des « martyrs anarchistes du Haymarket Square » de Chicago, 1886.

« Le temps viendra où notre silence sera plus puissant que les voix que vous étranglez aujourd’hui ! ».

AUGUSTE SPIES

L’assiette au beurre, 28 avril 1906.

Là je vous propose de regarder un petit film de 7 minutes pour bien comprendre :

L’HISTOIRE DU 1ER MAI – Extrait du film Howard Zinn, une histoire populaire américaine, par Olivier Azam et Daniel Mermet

Petit film limpide et génial pour pas oublier d’où vient le premier mai !

Bon, vous aurez compris, le 1er mai c’est quand même super important. C’est un symbole qui lie tous les travailleur·ses du monde.
Mais avant de devenir un jour pour se souvenir, pour manifester ou glander, y a eu un petit virage dont on doit parler ici.

Récupération du régime de Vichy

En 1941, le maréchal Pétain va venir tout saccager. Il va récupérer ce jour de grève internationale des travailleurs et le transformer en jour férié, La Fête du Travail. Tout de suite, ça me donne moins envie de dire que le 1er mai c’est la fête du travail… On pourrait penser qu’il n’avait pas bien suivi ses cours d’histoire à l’école ou qu’il n’avait rien compris… À moins que ce geste délibéré ne constitue une confiscation d’un symbole social essentiel au profit de la célébration de l’exploitation des ouvriers… À ce propos, Wikipédia dit : « Le 24 avril 1941, le maréchal Pétain instaure officiellement par la loi Belin, le 1er mai comme « La Fête du Travail et de la Concorde Sociale », appliquant ainsi la devise Travail, Famille, Patrie. Par son refus à la fois du capitalisme et du socialisme, le régime pétainiste cherche une troisième voie fondée sur le corporatisme, débaptisant la fête des travailleurs qui faisait trop référence à la lutte des classes. »
Bien ce qu’il me semblait… Le 1er mai devient alors férié, chômé et payé. La radio de l’époque ne manque pas de souligner que le 1er mai, c’est aussi la Saint-Philippe, saint patron du maréchal, comme par hasard…

A la Libération, la date reste fériée mais redevient un jour de manifestation. En avril 1947, sur proposition du député socialiste Daniel Mayer et avec le soutien du ministre communiste du Travail Ambroise Croizat, le 1er mai est réinstitué jour chômé et payé dans le code du travail, sans être une fête nationale. Il redevient un jour férié en avril 1948, et on le désigne officiellement comme la « Fête du Travail ». Ils ont déconné là non ? Pourquoi remettre de l’ordre dans les idées après Pétain et conserver ce nom qui ne colle pas ? On pourrait en profiter pour glisser que le Front National s’est aussi servi pour récupérer la date et célébrer Jeanne d’Arc, mais ça n’a pas beaucoup d’intérêt.

Et en 2020 ?

En France, pour la première fois depuis la seconde guerre Mondiale, les manifestations du 1er mai sont interdites par les autorités. C’est pas rien hein…
Je vais pas m’étendre sur le sujet, je vous invite à lire dès demain l’histoire de Lili la Noire sur ODIL, un conte sur la fracture contestataire qu’on est en train de vivre. Mais j’espère que vous avez compris qu’il se passe quelque chose d’historique.

En attendant, on a lancé un #CadavreExquis de 1er Mai, une vidéo-action participative, pour se réunir et partager nos/vos revendications. On s’est dit « pas de manifs, ça veut pas dire ne pas rendre hommage à ceux qui ont lutté pour des droits dont on bénéficie tous aujourd’hui« …
Alors on tente quelque chose virtuellement, on essaye de trouver un mode de revendication en utilisant internet comme un lieu d’occupation. 
Pas facile de lutter sur le web, de rester subversif… Peut-être que l’idée c’est de renouveler nos modes de revendications, de mobilisations… et se méfier de la virtualisation de nos luttes quand même. Parce qu’il ne suffit pas de partager un post Facebook ou de cracher un petit tweet bien senti pour être engagé·e au service d’une cause. L’information c’est bien, l’action c’est mieux, vous n’êtes pas d’accord ?

Court-circuiter le confinement

Dans ce contexte historique de pandémie internationale et d’interdiction de manifestation publique, des initiatives ont été lancées sur tout le territoire. Pour court-circuiter le confinement. Pour faire exister les revendications. Malgré tout. Même si c’est illégal de se réunir et brandir un panneau dans la rue en ce moment, même si certains se font verbaliser parce qu’ils affichent ce qu’ils pensent sur des banderoles aux balcons. C’est grave. Mais faites confiance à ceux qui ont quelque chose à dire, même muselés par un masque ou par une assignation à résidence, ils trouvent comment contourner la contrainte et inventent des modes d’affichage moins classiques.

Voilà quelques initiatives qu’on a vues passer.

Lutter pour ne pas mourir

#LPPM est un collectif spontané. Tous les intermittents de l’emploi sont les grands oubliés de cette crise sanitaire et sociale. Une vidéo qui rappelle qui sont les oubliés du plan d’urgence. Mieux qu’un long discours, une galerie de portraits, une action collective pour tirer la sonnette d’alarme sur la situation des intermittent·es du travail, toutes branches professionnelles confondues. « Je survivrais au COVID, pas au RSA… ».

Manifester depuis son canapé

On a vu ça aussi, l’application Manif.app .
« Le site Manif.app vous permet de participer en plaçant votre avatar sur une carte à l’endroit de la manifestation et ainsi afficher votre soutien. Votre avatar est visible publiquement sur la carte ainsi que tous les autres avatars.Vous pouvez aussi organiser une manifestation seulement en ligne, ou en rejoindre une déjà organisée, en invitant un grand nombre de personnes, à travers les réseaux sociaux par exemple, à venir manifester en même temps à un endroit donné sur Manif.app. ». Conçue par le développeur et artiste parisien Antoine Schmitt, l’application donne la possibilité de manifester en ligne via un avatar. Cette initiative citoyenne utilise le service collaboratif Open Street Map.
Je ne sais pas trop quoi en penser. Je comprends l’idée, je m’interroge sur le résultat. Géo-localisation, mobilisation anonyme. Au mieux on peut y lire de bonnes punchlines et y trouver des slogans créatifs, voir sur la carte là où ça bouge pour de faux. Au pire ça ne sert à rien.

« Pépés Mineurs on ne vous oublie pas ! »

Une feuille blanche pour un nouveau récit collectif

Un autre appel a été lancé sur YouTube. On ne sait pas d’où il vient…
« Vendredi 1er mai à 20h pile, comme nous le faisons déjà, saluons tous ceux qui ont maintenu le cap durant la tempête, mais cette fois en dehors de chez nous. Tout en gardant, pour la convention, la distance de sécurité d’un mètre à l’aide d’un lien blanc, retrouvons nous sur toutes les places publiques de France. Sortons avec un masque blanc, une tenue blanche, un drapeau blanc, sortons avec des casseroles, des tambours et des trompettes… Faisons de ce 1er mai, un moment de retrouvailles, d’ouverture comme un raz-de-marée joyeux. Transmettons une belle image de notre souveraineté individuelle et collective. Oui nous sommes vivants, collectifs et aimants ! »

#pourunpremiermaisolidaire

Le mouvement Pour une écologie populaire et sociale souhaite de même préparer «une sortie démocratique du confinement en agissant, partout où nous sommes, dans le respect des gestes barrières mais de façon déterminée.» Il propose d’agir de multiples façons, en déployant des banderoles aux balcons, en sortant dans la rue, comme à Pantin, il y a deux semaines où des gilets jaunes avaient marché pendant une heure, de manière dispersée et en respectant une distance entre chaque manifestant de deux mètres.

We are the Shutdown

Comme tout a commencé aux Etats-Unis en 1889, on s’est dit qu’on pouvait boucler la boucle avec les anarchistes américains d’aujourd’hui. Pour ceux que la lecture en anglais ne rebute pas, prenez le temps de lire ici : Crimethinc. Ils expliquent clairement la nécessité de réinvention des modes de lutte…
« Depuis 1886, anarchistes, féministes, travailleurs et autres révoltés ont fait du 1er Mai une célébration de la résistance. En 2020, alors que la poursuite du capitalisme menace explicitement de mort d’innombrables travailleur·ses et de destruction la biosphère dont nous dépendons tous, cette tradition est plus importante que jamais. Mais pour faire face au front combiné de la pandémie COVID 19 et de l’intensification de la répression étatique, il est clair que pour ce 1er Mai nous devons inventer de nouvelles stratégies et pas simplement chercher à réutiliser les modèles des années précédentes. »

Oui, en ce jour important pour les travailleur·ses sous l’égide de COVID 19, il serait peut-être bon d’innover. De trouver comment mobiliser les jeunes dont certains fustigent l’absence aux manifs, de savoir comment associer les communautés les plus éloignées des luttes sociales alors qu’elles sont la ligne de mire permanente des injustices, de faire de la place aux mutations, aux changements de tactiques, de circulation… En se réappropriant la place publique, ses murs, ses espaces d’affichage. Et en réconciliant les DJ historiques des syndicats avec les platines de nouveaux venus…

Je vous quitte en musique avec la playlist de manif’ d’ODIL : Haut les coeurs et bonne fête des travailleur·ses !

Laëtitia Déchambenoit
1er Mai 2020

Illustration couverture : Haymarket Affair, sciencesources.com