Portée entre ciel et terre, couchée sur le grand corps chaud d’une jument percheronne, je scrute l’azur qui défile en rond. L’éther est limpide aujourd’hui, amplifiant encore cette impression d’éternité. Je me sens perchée au bord du vide, bercée doucement par un bassin animal. Un instant suspendu, que je veux suspendre, jouir encore de ce silence vivant, de ce silence peuplé de chants d’oiseau, de vrombissements d’insectes, de murmures du vent dans les branches restées nues.
La peur est si loin d’ici, peut-être m’a-t-elle oubliée, trop occupée à martyriser des citadins enfermés contre leur gré dans une tempête d’injonctions contradictoires : « Restez chez vous », mais « allez travailler », « soyez solidaires de nos courageux soignants » mais « surtout n’oubliez pas vos entreprises ». « Vous, artisans, fermez boutique », tandis que « Vous esclave d’Amazon allez vous sacrifier pour satisfaire le dieu Mammon ». Quel tourbillon d’injustice, quel maelström incompréhensible. Je suis lâche encore, je n’ai pas à désobéir, je suis trop bien ici et maintenant. La peur m’a frôlée de son aile écailleuse mais c’était avant, hier, il y a longtemps. Là, je plane, sans aucune drogue, si ce n’est celles imprévisibles que secrète mon cerveau. Je suis loin et pourtant si proche, la première maison est là-bas à un peu plus de 800m, mais les nouvelles lois édictées contre la pandémie me placent dans un « no man’s land » arpenté seulement par quelques promeneurs solitaires.
Tout à l’heure un monsieur dans une voiture verte s’est arrêté sur la route pour nous regarder voltiger, il a eu l’air heureux, nous a salué d’un petit signe de la main et a continué sa balade solitaire. Nous avons eu un spectateur aujourd’hui. Peut-être avons-nous contribué à rendre sa journée plus lumineuse, plus légère, comme la pétulance heureuse qui chatouille le fond de l’air.
Aujourd’hui, je me suis remplie de lumière et de la douceur de l’air, c’est tellement que j’aimerais vous en envoyer par voie virtuelle, par celle du texte, par celle de ma voix qui transite de ces lettres vers les secrets de vos têtes.
D’ici et de maintenant, je vous envoie des lueurs de présent, en partage, en présent.

La Négresse à Cheval
Au pays des nomades – 20 mars 2020