On s’est connu, on s’est reconnu
On s’est perdu de vue, on s’est r’perdu d’vue
On s’est retrouvé, on s’est réchauffé
Puis on s’est séparé

Chacun pour soi est reparti
Dans l’tourbillon de la vie
Je l’ai revue un soir, aïe, aïe, aïe


Le Tourbillon – Chanson extraite du film  » Jules et Jim » avec Jeanne Moreau

La musique commence.
Marie chante au son du Ukulélé une reprise du Tourbillon de la vie. C’est comme ça qu’on entre dans cette aventure sonore. Elle attend Vincent à l’école d’art de Chalon-sur-Saône, où elle était étudiante il y a quelques années.
Après son diplôme, elle avait quitté la ville, fâchée avec son ami.
Trois ans de silence radio avant qu’ils se retrouvent par hasard.
Il est devenu militant d’extrême droite, et elle féministe radicale…

Il n’arrive pas en vélo rouge comme à l’époque et il a bien changé.
Il se décrit comme militant nationaliste lui qui se disait anarchiste.
« WHAT HAPPENED TO YOU ? » lui demande t-elle.

Marie, son monde rêvé, il est sans frontières et ultra-égalitaire, « pas d’état nation, pas de flics, pas d’autorité… ». Celui de Vincent est fait de souveraineté économique, de patriotisme, de conditions posées à l’Etranger, de valorisation du bien commun et de responsabilisation du citoyen.
Il explique qu’il a développé une maturité politique au fil de ses expériences de vie. En se confrontant au réel, ses utopies ont changées.

Marie le questionne avec affection, sans jugement, pour comprendre.
Elle suppose qu’ils portaient en eux les prémices de ce qu’ils sont devenus. Idéologiquement, il est tout ce que Marie déteste et réciproquement. Mais bien qu’ils soient diamétralement opposés politiquement, ils partagent cette radicalité, cette notion d’engagement et d’action pour un glissement vers la société qui leur semble la meilleure. En mangeant des chips et en buvant un coup, ça reste léger. Ça ne servirait à rien de vouloir convaincre l’autre.

MARIE :
– T’es tout ce que je déteste. Et je t’aime beaucoup !
Et moi je suis tout ce que tu détestes…
VINCENT :
– Et je t’aime beaucoup aussi.
(…)
MARIE
– Voici le son de la bouche d’une personne d’extrême gauche qui embrasse la peau d’une personne d’extrême droite !



Marie, l’adage dit Qui se ressemble s’assemble…
Mais le temps passe et nous transforme. Les souvenirs qu’on a partagé entre amis constituent parfois le ciment d’une relation, bien plus que nos présents ou nos choix de vie…
Ce documentaire est puissant parce qu’il pose des questions qui nous ont tous traversées. Et parce que s’aimer au-delà de divergences intellectuelles profondes est un pari audacieux, qui demande du courage et de l’humilité. Quelques questions pour toi…

Dans le docu, Vincent rapporte ce que tu lui as confié.
Si tu avais eu connaissance de ses nouvelles orientations politiques, tu ne l’aurais pas invité chez toi.
Comment choisis-tu tes amis aujourd’hui ? On est toujours potes avec des gens qui nous ressemble ?

Sur le plan relationnel « pratique », le comportement de Vincent l’individu envers Marie l’individue n’a rien d’oppressif ou de sexiste. C’est même l’un des hommes les moins sexistes que j’ai côtoyé dans ma vie, en fait. 
ça peut paraître contradictoire, mais le fait qu’il adhère à une idéologie qui s’oppose à mon féminisme intersectionnel ne fait pas de lui un gros abruti misogyne. Il défend un idéal de masculinité virile et dominatrice que j’ai personnellement en horreur, certes.
Mais dans les faits, dans nos échanges, il ne remet jamais en question ma parole et mon engagement. Par contre, le fait d’être dévalorisée, dénigrée, que ma parole féminine et féministe ne soit pas prise en considération,  c’est quelque chose que j’ai beaucoup subi dans des milieux se proclamant de gauche, féministes et safe. Les comportements oppressifs ne sont finalement pas toujours là où les attend (et beaucoup là où on ne les attend pas !).

Je suis incapable d’être proche de quelqu’un-e qui est anti-féministe en pratique. Car je suis incapable d’être proche de quelqu’un-e à qui je dois sans cesse prouver que je suis une personne légitime de vivre dans la liberté et dans la dignité, en temps que femme et en temps que féministe. 

Aujourd’hui, je suis amie avec des personnes qui sont proches de moi politiquement. Je crois que je n’ai pas de pote de droite ahah !
C’est beaucoup lié au fait qu’on est pas mal dans un entre-soi. On se retrouve dans les mêmes activités, les mêmes centres d’intêret… donc forcément, et tout ça est sociologique, les rencontres se font peu avec les gens qui sont d’un autre bord.
En traînant ma carcasse dans des festivals de cirque, dans des bars associatifs, dans des évènements vegan et écolos, évidemment j’ai plus de chances de me retrouver avec des gauchos anarchistes queer, qu’avec des gens qui votent à Rassemblement national.
Ce ne sont pas pour autant des milieux safe. Il y a plein de mecs de gauche soit disant progressistes, qui sont, pour le coup, des abrutis misogynes. Des agresseurs, des harceleurs, des opposants  aux luttes féministes, il y en a partout, dans tous les bords politiques. 

Une fille d’extrême gauche qui sort avec un mec d’extrême droite, c’est possible ? On peut s’aimer sans partager les mêmes valeurs ? Il y a de l’avenir pour votre relation ?

Joker 😉

Après avoir mené cette expérience avec Vincent, tu dirais qu’il faut éviter certains sujets pour être amis ?
Qu’étais-tu prête à entendre ou quelles choses te sont apparues intolérables ou taboues ?

Clairement, il y a des sujets que je n’ai pas envie d’aborder avec lui, parce que je sais que ça va me mettre hors de moi ! Et il est très fort en débat, le bougre. Il aime bien avoir le dernier mot, moi aussi ahah !
On est tous les deux assez orgueilleux donc je pense que tacitement, on sent qu’on perdrait du temps à essayer en vain de se faire changer d’avis. Par contre, on utilise pas mal l’humour pour se moquer mutuellement des idées politiques de l’un et de l’autre.  

Mais moi je n’ai pas de problème à dire que je suis extrêmement féministe !


Marie Roland

As-tu trouvé des points de convergences entre ta philosophie de militante féministe et celle de ton ami néo-fasciste ?

Oui. Dans le fait d’être sans concessions, sans compromis, extrêmistes (et pour moi il n’y a rien de péjoratif dans ce mot).
Cette fameuse histoire de radicalité. Moi j’aime bien les gens qui sont à fond dans une cause. Même si je trouve ladite cause vraiment puante. Etre militant radical, c’est un combat épuisant parce qu’en plus de lutter pour propager nos idées, on se prend sans cesse dans la tronche une stigmatisation très pénible. Les gens ont peur des extrêmes. Mais moi je n’ai pas de problème à dire que je suis extrêmement féministe.
Je ne vais pas être féministe à moitié, je ne vais pas être féministe un jour sur deux, ou féministe juste pour les femmes blanches, etc… Ce qui nous rapproche avec Vincent, je pense, c’est qu’on est d’accord pour dire que : les trucs à géométrie variable, la notion de 2 poids 2 mesures, on aime pas ça. 

Faire un documentaire, c’était la condition de médiation qui te permettait de faire un pas vers lui ? Pourquoi as-tu décidé de le réaliser ?

Quand je réalise un documentaire, la présence du micro et le fait de mettre les voix en boîte me mettent un peu plus à distance émotionnellement.
Je crois que ça me rend plus tolérante et plus patiente aussi, parce qu’il y a la présence des auditeurices en aval, à qui je veux offrir le son.
J’ai donc le devoir absolu de mettre mon ego de côté, sinon ça ne peut que faire un documentaire de merde.
Dans Retrouver L’Ami, j’étais une documentariste au travail avant d’être une militante féministe. Tout comme Vincent qui, dans ce contexte, était un personnage de documentaire avant d’être un militant d’extrême droite. 

J’ai fait ce projet pour me tester moi-même, pour voir si j’arriverais à m’ouvrir un peu l’esprit (parce qu’avant de retrouver Vincent, jamais je n’aurais imaginé accepter l’existence et la présence d’un mec d’extrême droite… et c’était contradictoire avec le fait que je prône l’amour, la tolérance, le vivre-ensemble, etc…).
Honnêtement je suis étonnée de moi-même ahah !
Mais assez fière aussi, d’avoir été capable de lui laisser un espace sonore pour exister, malgré le fait que parfois, son discours me donnait des frissons de terreur. Je n’ai pas changé d’opinions politiques au cours du tournage. Lui non plus. On est restés tels qu’on était, en voulant peut-être donner un petit message d’espoir en mode « On peut passer des moments chouettes ensemble, regardez ! On peut cohabiter et se supporter. »

Pour moi, le secret, l’intime, le tabou, sont des notions éminemment politiques. Pour vaincre ce système patriarcal, je crois qu’ il faut parler de nos vulves, de nos clitoris, de nos poils !


Marie

L’intimité est au coeur de ton travail d’artiste.
Journaux de vie, immersions racontées à la première personne…
A priori et sans creuser, on n’imagine pas forcément que c’est un art engagé.

Tu considères que l’entrée personnelle est la meilleure pour la militante que tu es ?

D’une part, je pense que le sujet que je maîtrise le mieux, et sur lequel je suis la seule personne réellement légitime pour parler, c’est : moi-même. Ma vie, mon corps, mes pensées.
Je veux exacerber le fait qu’on s’exprime toujours de son propre point de vue. Je déteste les concepts de réappropriation, les personnes qui croient mieux savoir que toi à propos d’un sujet où elles sont non-concernées. Je me dis qu’au moins, dans mon travail, c’est clair, je suis à la fois narratrice et réalisatrice. Je ne prétend pas être objective, j’en suis incapable. Beaucoup de gens trouvent cette démarche égocentrique. Je peux tout à fait comprendre que l’on trouve mon travail chiant, inutile, qu’on ne se sente absolument pas touché, qu’on me trouve trop nombriliste. Mais on peut parler de soi-même en étant humble. J’essaie de l’être. J’essaie d’être authentique. L’une de mes grandes petites victoires, c’était le jour où j’ai gardé au montage un plan où je me trouvais vraiment moche. Ce jour là je me suis dit « Génial, j’en ai enfin plus rien à foutre d’avoir un capital baisabilité médiocre ! ».
Pour moi, c’est un geste politique en temps que femme, de s’exposer sur Youtube, dans des vidéos où : on a la tête dans le cul, on rote, on a ses règles, on est bourrée, on est ridicule, bref, où on vit. Mon but c’est aussi de donner accès à un autre type de féminin que celui qui nous est sans cesse rabâché, le seul qu’on voit, la fameuse Youtubeuse beauté. Je trouve ça cool que ces femmes là existent de cette façon sur internet, mais j’ai envie qu’on voit plus de meufs qui ne soient pas comme ça. 

D’autre part, j’aime l’idée qu’une dimension individuelle prenne une dimension universelle.
Je ne suis pas la seule humaine qui s’est déjà interrogée sur le fait de sortir où non avec des poils aux jambes. Pour moi, le secret, l’intime, le tabou, sont des notions éminemment politiques. Pour vaincre ce système patriarcal, je crois qu’ il faut parler de nos vulves, de nos clitoris, de nos poils. Il faut montrer notre gueule moches au réveil. Il faut rendre publiques les problématiques de l’intime, car c’est là que se crystallisent les injustices et les oppressions. Pour combattre, il faut connaître.
Pour connaître, il faut montrer. 

C’est quoi être une femme, artiste et féministe aujourd’hui ?

C’est pour moi une évidence et une nécessité.
Je suis assez nulle en pédagogie dans la vie de tous les jours, je monte très vite dans les tours et on me dit tout le temps que je suis hystérique (terme bien misogyne, d’ailleurs) et trop virulente. Etant souvent submergée par l’émotion, j’ai du mal à faire passer mes messages politiques. Avec le support du documentaire, c’est possible. Parce que justement, c’est un support. L’adresse au public n’est pas directe. Et je pense qu’elle est plus efficace, sur le long terme, qu’un débat musclé où les egos des deux parties gangrènent la réception des informations. 

Et je me rend compte que je suis encore en train de parler de moi alors que la question était peut-être plus globale. Je n’oserais pas parler au nom des autres femmes artistes et féministes.

Pour ou contre un badge qui précise ton orientation politique sur TINDER ?

Surtout pas.
J’avais évoqué mon engagement féministe dans ma description Tinder, et du coup, des tas de mecs me swipaient à droite juste pour pouvoir me chercher des poux dans les têtes et m’insulter de féminazie, de brise-couille, de vilaine emasculatrice, etc…
Il y a un truc qui est quasiment pire qu’être une femme sur Internet : être une féministe sur Internet !

Pour découvrir le docu c’est ici !

Un documentaire réalisé en juin 2019, à Chalon-sur-Saône. 
Ecriture, captation et montage : Marie Roland
Mixage : Léo Debeugny
Ukulele : Augustin Boj